Notre activité a fait croitre la terre au-delà de ses propres frontières, a dit le Directeur adjoint du Pic du Midi, Docteur en géographie spécialisé sur les paysages étoilés, astronome amateur, Nicolas Bourgeois

Notre activité a fait croitre la terre au-delà de ses propres frontières, a dit le Directeur adjoint du Pic du Midi, Docteur en géographie spécialisé sur les paysages étoilés, astronome amateur, Nicolas Bourgeois

Ouvert en 2000 au grand public, le Pic du Midi a été classé en 2003 comme site naturel national au titre de la beauté de son paysage. Le 19 décembre 2013, il a été labellisé Réserve Internationale de Ciel Etoilé, la première de France. Le Directeur adjoint du Pic du Midi, Docteur en géographie spécialisé sur les paysages étoilés, astronome amateur, Nicolas Bourgeois a parlé avec all-andorra.com sur ce lieu magique où depuis plus de 140 ans, chercheurs et techniciens de l’espace observent, décryptent et photographient le ciel et toutes ses planètes jusqu’aux plus lointaines galaxies.

Interview: Irina Rybalchenko

Parlez-nous de l’école scientifique et des théories sur l’origine de l’univers, du système solaire et de la terre sur lesquelles vous vous appuyez dans vos recherches…

De tous temps, les sociétés humaines se sont interrogées sur le monde au-dessus de leur tête. A travers les siècles et les différentes cultures, les conceptions de l’Univers n’ont cessé d’évoluer. Autrefois conçu comme un plafond parsemé d’astres, il est aujourd’hui connu comme un espace temps infini dans lequel la matière s’organise depuis 14 milliards d’années. A partir du XVIIeme siècle, l’observation instrumentale est venue construire et déconstruire les grandes lectures de l’univers. Galilée est le premier à utiliser la lunette pour observer les astres, ses observations vont introduire l’idée révolutionnaire de la place du Soleil au centre d’un système planétaire. Cet acte dessine les prémices de la méthode scientifique : toute théorie doit être vérifiée par l’observation.

Mais qu’est-ce l’univers ? Est-ce que c’est un organisme vivant ? Une matière ? Une matrice ?

Je n’oserai pas évoquer l’univers en termes d’organisme vivant. C’est un gigantesque système régit par quatre forces fondamentales : la gravité, la force électromagnétique, les forces nucléaires faibles et fortes. La matière inerte se modèle, se transforme par et avec ces forces. Cette organisation perpétuelle de la matière a fini par faire émerger la vie. Notre planète héberge les seuls organismes vivants que nous connaissons pour le moment, dont nous faisons partie bien sûr. Et ce que je trouve le plus beau dans cette histoire cosmique, c’est de fermer les yeux et de prononcer cette pensée : « je suis, j’existe ». Lorsque l’on réalise cette simple expérience, on concrétise le fait que la matière est passée du chaos à un état de conscience d’elle-même !

Et croyez-vous à l’existence de civilisations extraterrestres ?

Je ne cherche pas à y croire, c’est d’avantage une étrange conviction. Lorsqu’on se met à aligner quelques chiffres, on comprend très vite qu’il est très probable que la vie ait émergé ailleurs dans l’univers. En considérant que 8 planètes orbitent autour de notre Soleil qui est une étoile « banale » et qu’il existe des milliards d’étoiles dans notre galaxie… et que des milliards de galaxies occupent notre Univers, je ne peux qu’être convaincu d’une vie extraterrestre. Cependant, aussi forte que soit ma conviction, elle ne fait qu’effleurer les contours d’une possibilité. Il est très difficile de donner davantage de précisions à cette idée. Les milliers d’exoplanètes que nous découvrons jour après jour ne nous révèlent pour l’instant que de nouveaux questionnements. Tous ces systèmes planétaires observés sont à des dizaines et des centaines d’années lumières de notre planète. Les détecter est déjà une prouesse immense en soi ! Les instruments géants qui verront bientôt le jour nous permettront, je l’espère, de faire des bons en avant dans la détection des marqueurs de la vie organique sur ces planètes. Mais les critères pour l’émergence de la vie sur Terre, sont-ils des standards cosmiques ? Ou existe-t-il d’autres milieux dans lesquels la vie peut émerger ?

Que pensez-vous sur l’hypothèse d’une terre en croissance (expanding Earth) ?

Je ne suis pas sûr de connaître ou de comprendre cette hypothèse mais elle me renvoie à une autre idée. Depuis l’invention des premiers moyens de communication utilisant les ondes électromagnétiques et depuis le déploiement extraordinaire des moyens de communication, notre planète est devenue l’épicentre d’une immense source d’informations qui se déploient au-delà de notre atmosphère. Certaines de nos sondes spatiales ont également atteint les confins de notre système solaire. Plus proches de nous, des milliers de satellites et des centaines de milliers de débris orbitent autour de la Terre. Ces objets, bien qu’artificielles sont produits à partir de notre planète. D’une certaine manière, notre activité a fait croitre la terre au-delà de ses propres frontières.

Quels sont les principales risques que vous voyez pour l’humanité et comment y faire face ?

Le principal risque pour l’humanité est également son seul et unique moyen de limiter le risque : nous même !

Ce n’est plus un secret pour personne, même pour ceux qui refusent d’y croire ou ferment les yeux : notre mode de vie, notre rapport à l’environnement, notre conception du progrès, ont entrainé un dérèglement climatique sans précédent et des impacts sur le vivant qui amènent les scientifiques à parler de 6ème extinction et d’anthropocène. En d’autres mots, jamais la Terre n’a connu un effondrement aussi rapide du vivant et une transformation de son équilibre que l’on traduit aujourd’hui sous la forme d’une nouvelle ère géologique. Notre trace est aujourd’hui indélébile. Mais si nous nous sommes dotés de la puissance matérielle, sociétale et intellectuelle nécessaire à ce bouleversement, nous devons avoir les mêmes moyens pour infléchir notre capacité à détruire.

Le plus gros défi du XXIème siècle est que notre ennemi n’est pas une nation extérieure ou une idéologie dangereuse. Ce que nous devons affronter est beaucoup moins frontal. C’est quelque chose d’insaisissable… Il s’agit d’affronter les conséquences de notre mode de vie et plus dur encore sans doute, d’oser transformer notre mode de vie.

Que représente aujourd’hui le Pic du Midi en termes de science ?

Le Pic du Midi c’est aujourd’hui 10 000 m² de plancher bâti, une construction comprenant 6 niveaux, 5 km de couloirs qui relient l’ensemble des bâtiments afin de faciliter les déplacements quel que soit la météo, 2 transformateurs de 1200 kVa, un groupe électrogène de 850 kVa…

Le site abrite de nombreux services et activités qui partagent quotidiennement un même espace. C’est le bâtiment interministériel qui est classé secret Défense qui vit en totale autarcie – c’est essentiellement une base de télécommunications. Situé sur la crête ouest, on y trouve des locaux de télédiffusion de France (TDF) avec l’antenne de 101 m de hauteur, émetteur régional de radio et TV dont la portée est de plus de 400 km.

La Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), France Telecom, Météo France y sont également présentes.

Et bien sûr, il y a des bâtiments réservés aux scientifiques. C’est la Coupole Robley qui abrite un télescope de 55 cm, le Coronographe (étude de la couronne solaire tous les jours de l’année), la Coupole Tourelle (observation de la surface solaire), la Coupole Gentili et son télescope d’un mètre équipé par la NASA et le télescope Bernard Lyot.

Alors qu’à la fin des années 1950, la Lune étaient encore méconnue, le Pic du Midi a permis de réaliser un important travail photographique pour améliorer les connaissances de ce satellite de la Terre. Tous les soirs, c’était des centaines de photos qui étaient prises sous la coupole du Pic du Midi. Ensuite ces photos étaient descendues par téléphérique, puis récupérées par l’armée américaine qui les amenait à un aéroport. Ensuite, ils les faisaient traverser l’Atlantique jusqu’à Saint-Louis au sud des États-Unis où elles étaient développées pour être analysées. Près de 60 000 clichés sont encore conservés, pour un programme qui aura mobilisé près de 50 personnes au Pic pendant une dizaine d’années.

Pourriez-vous nous donner des détails sur les travaux scientifiques menés ici aujourd’hui ?

L’observation du soleil s’effectue au Pic du Midi à partir de deux coupoles : la Lunette Jean Rösch et le Coronographe.

La lunette Jean Rösch a permis d’étudier la dynamique des mouvements de surface et du champ magnétique à partir d’une caméra à grand champ (4000 x 4000 pixels) CALAS pour la photosphère et d’un spectropolarimètre permettant l’analyse des couches supérieures du soleil telle que la chromosphère.

Des recherches ont également été menées sur la géométrie du soleil pour déterminer son aplatissement qui est en lien direct avec les conditions physiques qui règnent à l’intérieur même du soleil.

Dans la coupole du Coronographe, l’instrument CLIMSO est dédié à l’étude continue des phénomènes dynamiques de l’atmosphère solaire en tenant compte de la grande hétérogénéité en températures, densités, propriétés magnétiques et électriques de ces régions. Il s’agit donc du diagnostic global de l’activité solaire (simultanément couronne froide, couronne chaude, événements sur la surface…).

Dans le domaine des observations atmosphériques, la station du Pic du Midi fournit depuis la fin du XIXème siècle, 2 types de résultats qui ont un véritable impact au niveau international : l’évolution des concentrations d’ozone dans l’atmosphère et celle des températures. Les observations sur pollution atmosphérique à l’Échelle synoptique, le réseau d’observation de la composition chimique de la troposphère sont en cours ici aussi.

Combien de scientifiques travaillent ici ?

De 5 à 30 personnes travaillent à l’Observatoire du Pic du Midi 24h/24. Ce dernier fait partie de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP) qui emploie plus de 400 personnes dont environ la moitié sont des chercheurs. Le siège social de l’OMP est à Toulouse et comprend 6 laboratoires et 17 services d’observation de recherches et d’administration ; L’observatoire du Pic du Midi et une base arrière à Tarbes compte une   équipe activités nocturnes, aérologie, des techniciens et astronomes.

Et aujourd’hui, c’est aussi un endroit magnifique pour les touristes…

Oui, le Pic a besoin d’être visité. Si le pic n’est pas connu, il tomberait en ruine… Depuis l’arrivée des touristes sur le site, il existe un véritable échange entre les scientifiques et les touristes, les astronomes souhaitant, en effet, faire connaître leur science à un large public.

Les secrets et l’émerveillement quotidien face au panorama des scientifiques, autrefois réservés à une poignée de privilégiés, sont aujourd’hui accessibles à tous.

Ainsi, les visiteurs partent en téléphérique du cœur de la Mongie, station de ski du Grand Tourmalet, pour atteindre en 15 minutes le sommet qui culmine à 2 877 mètres d’altitude. Du sommet, on peut découvrir et embrasser toute la Chaîne des Pyrénées, de la Catalogne au Pays Basque. D’est en ouest, l’horizon s’ouvre sur plus de 300 km de montagnes.

Nous développons constamment et essayons d’offrir aux touristes le service le plus moderne et le plus pratique. L’évolution numérique – c’est l’HistoPad, guide de visite novateur sur tablette tactile. Donc, chaque visiteur peut être immergé dans un voyage interactif en soi. Nous en avons 400 aujourd’hui.

Pour que ce lieu soit visité, et pour vouloir y revenir, nous organisons régulièrement divers événements comme par exemple des concerts grand public. En ce qui concerne le sport,  le Pic du Midi est un lieu où de nombreuses expériences sportives peuvent être pratiquées, du ski et snowboard en hiver ou du VTT en été.

Et comment envisagez-vous de développer le site dans le futur ?

L’année prochaine il y aura un nouveau centre d’information pour les étudiants de licence / doctorat, salle de laboratoire, salle de recherche. Ce sera un nouveau bâtiment pour la formation de jeunes chercheurs.

De plus, depuis septembre 2019, les visiteurs en journée découvrent le fonctionnement et les secrets d’une coupole. Au cœur de l’ancienne coupole qui accueillait le Sidérostat, un télescope de dernière génération permet d’observer le soleil en direct. Installées sur une banquette, 27 personnes assistent à un spectacle visuel et sonore qui alterne entre un film d’animation 3D/Mapping projeté devant eux et une vue en contre-plongée du télescope « en action » avec jeu de sons et lumières dans la coupole au-dessus d’eux.

Quel est le budget du Pic du Midi ?

Un vaste programme de modernisation et de réaménagement du site pour un montant global de 7 M€ a été mis en œuvre. Il a été financé par l’Europe, l’État, la Région Occitanie, le Département des Hautes-Pyrénées et nous-mêmes. Tous les bénéfices du tourisme nous les réinvestissons directement au Pic du Midi pour continuer à le développer. Nous avons accueilli l’année dernière plus de 143 000 touristes pour un Chiffre d’Affaires de 6M€.

L’année passée le site a été visité par le Président de la France, Emmanuel Macron. Quel était le but ?

Il est venu inaugurer justement les nouvelles installations que nous avons fait pour les touristes : planétarium, ponton dans le ciel, nouveau restaurant, espace expériences…

Vous seriez intéressé à faire un film scientifique comme avec la BBC, par exemple ?

Bien sûr que j’aimerais beaucoup pouvoir faire un film avec la BBC. Le Pic du Midi est le plus vieil observatoire du monde avec une grande histoire. Et il est de plus en plus connu au niveau international. Nous sommes ouverts et nous aimerions partager des informations avec tous ceux qui sont intéressés.

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L’interview avec Rémi Cabanac, Scientific Director of Pic du Midi

L’interview avec Daniel Soucaze des Soucaze, Directeur Général du Pic du Midi

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