Pour l’autonomie énergétique globale, l’énergie solaire à concentration est inestimable, croit Emmanuel Guillot, directeur du laboratoire du four solaire de Font-Romeu-Odeillo

Emmanuel Guillot, directeur du laboratoire du four solaire de Font-Romeu-Odeillo, Occitanie, France, nous a expliqué les principales fonctions du four et nous a fait part de son avis sur le développement de l’énergie solaire dans le monde.

L’interview: Irina Rybalchenko

Pourriez-vous nous raconter l’histoire du four solaire ? Qui était son principal concepteur ?

Le four solaire d’Odeillo a été fondé par Félix Trombe, chimiste, physicien, spéléologue français et l’un des pionniers de l’énergie solaire en France. Il a commencé à travailler sur la concentration des rayons lumineux en 1947 en utilisant un gros projecteur de la défense anti-aérienne.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avec Marc Foex et Charlotte Henry la Blanchetais ils ont commencé à étudier les matériaux, avec ce qu’ils avaient sous la main. Le projecteur avait une lampe et un réflecteur de parabole. Il s’avère que pour éclairer un avion à une distance de 5 à 10 km, il faut avoir un réflecteur de forme quasiment identique à celle du Soleil, qui est très loin, et dont les rayons nous parviennent ainsi de façon quasiment parallèles. Il a réussi à obtenir l’autorisation d’utiliser ce matériel militaire. C’est ce qu’on voit dans Batman ; c’est le même projecteur !

En 1949, Félix Tromb a dirigé le prototypage du four solaire de 50 kW à Mont-Louis dans les Pyrénées-Orientales, et ensuite, en 1962, il a créé le grand four de 1 000 kW à Odello. Le four est surtout connu pour ses recherches sur les très hautes températures associées à l’énergie solaire.

Comment cela fonctionne-t-il ? Qu’est-ce qui génère autant d’énergie solaire ?

Lorsque la lumière du soleil frappait les miroirs, elle se concentrait en un petit point d’une température de 3 000 degrés Celsius. Tout objet en matière combustible qui touchait ce point s’enflammait instantanément, et des pièces d’acier résistant à la chaleur fondaient en quelques secondes.

Le principe utilisé est celui de la concentration des rayons par des miroirs réfléchissants. Un four solaire utilise deux jeux de miroirs différents assurant les deux fonctions optiques nécessaires ; la collecte, ou captation, puis la concentration de l’énergie solaire.

Les rayons solaires sont d’abord réfléchis par une première série de miroirs, les « héliostats », puis envoyés vers une deuxième série de miroirs, les « concentrateurs », disposés sur parabole. Elle les converge vers une cible quasi circulaire au sommet d’une tour centrale.

La tache solaire concentrée sur cette cible fait environ 1 m de diamètre et en son centre on a relevé une puissance équivalente à « 10 000 soleils », soit 10 000 kW/m2.

Coopérez-vous avec d’autres pays ?

Les Américains voulaient construire un four solaire de taille similaire pour tester des matériaux utilisés dans l’aviation et d’autres applications civiles. Mais ils ont choisi de venir ici. Ils y ont notamment testé des matériaux utilisés dans l´industrie nucléaire. Le bouclier de rentrée atmosphérique de la navette spatiale, a été testé ici lui aussi dans les années 70.

L’Union Soviétique a construit un four solaire similaire qui est aujourd’hui en Ouzbékistan, à Tachkent. Un échange d’informations a été fourni entre la France et l’Union soviétique, ce qui n’a pas plu aux Américains.

Il n’existe donc que deux installations de ce type sur la planète – le four de Font Romeu et celui situé en Ouzbékistan. Mais la tour verticale dont nous disposons est unique au monde. Il n’y en a pas d’équivalent, il n’y a pas de compétition ou d’autre expérience similaire.

Sur quoi travaillez-vous exactement ici ?

Notre activité se tourne essentiellement sur l’étude des matériaux et notamment leur réaction à la chaleur.  Cela fait partie de notre travail. D’autre part, le four vise à utiliser l’énergie solaire, et s’inscrit de ce fait dans le processus en cours de transition énergétique par la décarbonation de l’économie.

En outre, nous y développons des applications pour le  bâtiment à l’instar des murs Trombe qui œuvrent comme système de chauffage.

Le Centre d’Odello stocke l’énergie solaire qui peut être utilisée en cas de besoin lorsqu’elle est plus valeurable. Nous y disposons de nombreux systèmes de stockage de chaleur différents. Le four permet aussi des choses beaucoup plus efficaces, économiques et compactes, par exemple, pour faire de chimie ou fondre des plastiques.

Actuellement, la structuration scientifique du laboratoire dispose de trois thématiques de recherche: les matériaux pour l’énergie et l’espace, les centrales solaires de prochaine génération et le stockage et la chimie solaire (stockage thermique, photochimie, chaleur solaire industrielle, combustibles de synthèse…).

Les entreprises publiques et des sociétés privées viennent souvent ici pour travailler avec nous. Il y a des sociétés, par exemple, qui sont intéressées par la fabrication de briques à la température de 500 à 600 degrés, et qui peuvent venir utiliser nos installations en place, soit l’énergie solaire.

Là, avec nos installations solaires, on peut couvrir une température de 20  à 1500 degrés, voire même 2000 degrés.

Le four peut-il fournir de l’énergie à une petite ville, de la taille de Font Romeu par exemple?

Le laboratoire de recherche produit de l’électricité, mais ce n’est pas notre métier. Ce n’est pas nous qui alimentons Font-Romeu.

Qui finance votre laboratoire?

C’est le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dont la mission est d’identifier, d’effectuer ou de faire effectuer, seul ou avec ses partenaires, toute recherche présentant un intérêt pour l’avancement de la science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays. C’est le principal organisme de recherche en France. Il dépend du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de la France. Le CNRS contribue au rayonnement de la recherche française dans le monde au travers de ses 80 laboratoires internationaux et de ses 8 bureaux de représentation à l’étranger : Washington, Bruxelles, Rio de Janeiro, Pretoria, New Dali, Pékin, Tokyo et Singapour.

Le CNRS c’est 32 000 membres du personnel, 1 000 unités de recherche et 3,4 milliards d’euros de budget (les dépenses pour les recherches ne sont pas incluses dans ce montant).

Toutes les disciplines scientifiques sont couvertes par le CNRS, qui est divisé en 10 directions, dont la chimie, la biologie, l’astronomie, les mathématiques et les sciences humaines (l’histoire, les sciences linguistiques, les sciences sociales etc.).

Collaborez-vous avec des universités ? Des étudiants viennent-ils souvent chez vous pour des stages ?

Oui, nous avons beaucoup d’étudiants. Assez peu d’entre eux sont français, mais ils sont surtout Européens. Ils viennent d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie, d’Angleterre, etc. Il y a des collègues du Japon, des USA… Des collègues d’universités et des étudiants viennent parfois pendant 6 mois pour travailler avec nous.

Et pourquoi le four a-t-il été créé dans les Pyrénées?

Après la guerre, deux lieux ont été envisagés : soit en Provence, soit dans les Pyrénées Orientales. Le plateau cerdan a la particularité de ressembler à un château fort. On a des montagnes tout autour. Les nuages ​​ont tendance à nous encercler, mais ils ne pénètrent pas souvent dans le château !

De plus,  on bénéficie de l’altitude : l’atmosphère  est pure, saine et sèche. La qualité du soleil est à peu près la même que dans le sud de l’Espagne.

Quelles ont été les principales découvertes que vous avez faites ici ?

On ne travaille pas pour le commerce. Nous nous situons à l’échelle du monde des idées. Le mur Trombe est une technique classique en architecture visant à utiliser l’énergie solaire pour chauffer les pièces. Nous possédons une vaste expérience dans la synthèse des kérosènes.

Nous avons les moyens de produire des nanomatériaux, et ces matériaux permettent d’améliorer les performances de certains composants électroniques. Nous testons et fabriquons de nouveaux matériaux et vérifions leurs performances ici.

Que pensez-vous du développement de l’énergie solaire en général ? Dans quelle mesure son utilisation est-elle compétitive ?

Ces dernières années, l’énergie solaire a connu un véritable boom. L’utilisation de panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité est de plus en plus répandue, car la production du kilowatt via l’énergie solaire est moins chère. En France, la part des panneaux photovoltaïques dans la production nationale est faible, mais en Chine, par exemple, elle est énorme. La faiblesse des panneaux photovoltaïques et la suivante: une fois l’électricité produite, il est difficile de stocker de grandes quantités d’énergie. C’est pourquoi, en France, cette question suscite de nombreuses discussions.

Comment voyez-vous le développement de l’utilisation de l’énergie solaire ?

Nous disposons de bien plus d’énergie solaire que nous avons besoin. Avec l’aide de miroirs, nous pouvons créer de la chaleur, c’est beaucoup plus simple qu’avec des panneaux photovoltaïques. Nous pouvons maîtriser couvrir tous les besoins energetiques d’un grand pays avec l’aide de l’industrie locale.

Pour l’autonomie énergétique globale, l’énergie solaire à concentration est inestimable.

Si on utilise des miroirs, on utilise deux fois moins de terrain, et on produit deux fois plus qu’avec des panneaux photovoltaïques.

Êtes-vous ouverts aux touristes ?

Le CNRS organise parfois des journees scientifiques. Mais le laboratoire n’est pas accessible aux touristes. Nous avions une exposition extérieure gratuite et ouverte à tous pour expliquer à quoi le four sert. Peut-être qu’en 2024-25, nous pourrons à nouveau accueillir du grand public.

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