Il est possible de parvenir à un accord entre l’Andorre et l’UE d’ici la fin de l’année, dit l’Ambassadeur de France en Andorre, M. Jean-Claude Tribolet

Jean-Claude Tribolet est l’Ambassadeur de la France en Andorre depuis 2020. Nous parlons avec M. Tribolet de l’évolution des relations franco-andorranes, des communications entre la France et l’Andorre, et nous lui avons également demandé son avis sur les perspectives de négociations entre l’Andorre et l’Union Européenne.

L’interview : Irina Rybalchenko

Je ne peux m’empêcher de vous demander votre avis sur les manifestations contre les prix élevés des logements. En France, les manifestations sont courantes, mais ici, en Andorre, c’est presque la première fois qu’elles prennent une telle ampleur. Est-ce le premier signal d’une crise de pouvoir ?

Le rôle d’un ambassadeur n’est pas de se prononcer sur des questions politiques internes au pays dans lequel il travaille. Mais oui, l’accès au logement est un problème d’ampleur, et il concerne aussi les Français qui viennent  vivre et travailler en Andorre.

C´est un problème qui est lié à l’expansion démographique du pays. L’Andorre est un pays de montagnes. Les surfaces constructibles ne sont pas illimitées. Il est très difficile d’imaginer l’Andorre avec plus d’habitants qu’elle n’en a actuellement. Les logements sont principalement destinés aux touristes, et il n’y en a donc pas assez pour ceux qui viennent ici pour travailler. Il y a une limite physique à l’attraction de travailleurs étrangers. Le manque de logements est donc un problème de développement de l’Andorre.

Quelle est la position de la France quant aux négociations entre l’Andorre et l’Union Européenne ?

En tant qu’ambassadeur, je ne peux pas prendre position sur cette question. Les négociations avec l’Andorre sont menées par l’UE, et non par la France.

La Constitution d’Andorre a 30 ans et c’est un pays totalement souverain. L’Espagne et la France ont une relation très particulière en tant que voisins de l’Andorre et soutiennent les autorités andorranes dans leur volonté de se rapprocher de l’UE.

Je pense qu’il y a une fenêtre d’opportunité pour l’Andorre. Les négociations se poursuivent à un rythme soutenu. Elles ont commencé en 2015, il y a plusieurs années maintenant. Certaines questions sont encore sur la table. Il y a des sujets qui préoccupent toujours les Andorrans. Les négociations doivent viser à trouver une solution mutuellement bénéfique.

Il est possible de parvenir à un accord d’ici la fin de l’année ou au premier trimestre 2024.

L’année prochaine, il y aura des élections pour le Parlement européen. Il y aura beaucoup de changements. Mais même si l’Andorre est très petit, les intérêts de l’UE exigent un compromis avec l’Andorre.

Combien de Français vivent actuellement en Andorre ? Quelle est la dynamique de ces dernières années ?

La dynamique est plutôt à la baisse du nombre de Français en Andorre. Cela s’explique notamment par l’évolution de nos voisins du sud. L’Espagne a connu de grands changements depuis la fin de la dictature franquiste, et beaucoup d’Espagnols sont venus travailler en Andorre. Le nombre de travailleurs espagnols dépasse les 20 000, sans compter les travailleurs frontaliers. Les voisins du sud, les Catalans, parlent la même langue que les Andorrans, ce qui est un avantage.

Du côté français, nous avons environ 2 000 ressortissants français inscrits à l’ambassade. C’est très peu, et depuis 30 ans, ce nombre ne cesse de diminuer.

Les résidents dits passifs sont ceux qui viennent en Andorre pour les avantages fiscaux et pour investir dans l’immobilier. Si l’on fait la soustraction, on peut supposer qu’il y a environ 1 700 Français qui sont des résidents dits passifs, dans la mesure où d’après les statistiques andorranes 3 700 Français résident en Andorre

Combien de touristes français visitent l’Andorre chaque année ?

 Les statistiques andorranes permettent de répondre à cette question. Comme vous le savez, il y a les touristes qui passent au moins une nuit en Andorre et ceux qui passent la frontière pour faire des courses. Ces derniers sont les plus nombreux. Ils ne vont généralement pas plus loin que le Pas de la Case. Ces touristes représentent environ 3 millions de personnes par an. Ceux qui passent une nuit ou plus en Andorre sont moins d’un million. A titre d’exemple, environ 700 000 touristes français ont visité l’Andorre en 2022.

Quels grands projets communs franco-andorrans pourriez-vous citer et dans quels domaines ?

Les projets conjoints franco-andorrans sont généralement liés au domaine de l’énergie. FEDA est l’entreprise monopolistique responsable de la production et de la distribution d’électricité en Andorre. L’Andorre produit environ 20 % de sa consommation d’énergie. Pour compléter ses besoins énergétiques, le pays importe 40 % de son énergie d’Espagne et 40 % de France. Des accords existent pour permettre à la France de soutenir FEDA et son développement. Le protocole entre FEDA et EDF remonte à 2014 et a été renouvelé en janvier de cette année. Les contrats à long terme permettent à l’Andorre de maintenir des prix qui ne sont pas aussi élevés qu’en France.

Il est très important pour l’Andorre d’être sûre qu’en cas de coupure d’électricité en Espagne, par exemple, il n’y aura pas de black-out ici.Le fait de pouvoir compter à la fois sur les services espagnols et français le garntit.

Il existe un autre exemple de coopération dans le secteur de l’énergie : Andorre dispose de stations-essence du groupe français TotalEnergies…

Historiquement, le schéma commercial d’Andorre était basé sur la vente de biens qui n’étaient pas disponibles en France ou en Espagne.

Actuellement, on trouve de tout partout. La plupart des biens français peuvent être achetés en Andorre. L’Andorre est un petit pays, mais il y a beaucoup de distributeurs. On peut y voir des voitures françaises exportées depuis l’Espagne. En matière de carburant, il n’y a pas d’accords d´État franco-andorrans.  Il y a des accords commerciaux entre plusieurs importateurs de carburant. Dans le cas de la France, il s’agit d’une raffinerie de pétrole près de Perpignan. C’est le marché qui fixe les règles.

Y a-t-il des exemples dans le domaine de la médecine et de la haute technologie ?

Dans le domaine des soins de santé, des accords ont été conclus pour intensifier les échanges. La CASS a été créée sur le modèle français. Elle couvre à la fois l’assurance sociale et les fonds de pension, ainsi que l’assurance santé. L’une des particularités de l’Andorre est que les assurés sociaux peuvent aller se faire soigner en France ou en Espagne. Cette situation devrait se poursuivre en cas d’association de l’Andorre à l’UE. L’objectif est de développer davantage les échanges et la coopération dans le domaine de la médecine.

Dans le domaine de la haute technologie, je ne connais pas d’exemples précis. Il y a des exemples de coopération avec FEDA et l´opérateur de télécommunications qui a des relations transfrontalières avec l’Espagne et la France.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples des plus gros investisseurs français en Andorre ?

L’économie d’Andorre est basée sur les services et le tourisme. Je ne connais pas de grands investisseurs français. L’économie de services repose sur d’autres critères. L’Andorre est un pays de taille modeste. 70 % des importations proviennent d’Espagne – ce sont les statistiques douanières. L’Espagne exporte également des produits français. C’est beaucoup plus pratique.

Comment l’augmentation des prix de l’énergie a-t-elle affecté les relations commerciales entre les deux pays ?

Tous les pays européens sont confrontés à une hausse des prix de l’énergie en raison de la situation en Ukraine. Les tarifs en Andorre ont moins augmenté qu’en France ou en Espagne, principalement parce que l’Andorre a des contrats à long terme.

En plus, le carburant y est moins taxé. Aussi, bien que les prix aient augmenté, cela reste une option attractive pour les Espagnols et les Français.

Je voudrais également vous poser une question sur les problèmes d’accès à l’Andorre. La Principauté est un pays qui n’est accessible que par la route. Elle n’a ni aéroport, ni chemin de fer. La route reliant l’Andorre à la France est souvent fermée en hiver en raison des chutes de neige et du risque d’avalanches. Comment la France envisage-t-elle de résoudre ce problème ?

L’hiver dernier, la route a été fermée à deux reprises uniquement. Beaucoup d’efforts ont été faits pour assurer la viabilité hivernale de la Nationale 20. L’entretien de cette route est très coûteux. Il y a deux accords entre la France et l’Andorre (2017 et 2022) concernant les RN 20, 22, 320 et 116 qui permettent d’accéder à l’Andorre.

Selon l’accord de 2017, l’Andorre et la France doivent investir 21 millions d’euros sur la RN20, soit 10,5 millions chacune.

Le long de la ligne ferroviaire du train jaune passe la route 116, qui dessert Prades. Selon l’accord de 2022, l’investissement total est estimé à 18 millions, dont 12 millions devraient être supportés par la France et 6 millions par Andorre.

Ces accords prennent compte des problèmes météorologiques et leurs conséquences afin que la route soit protégée des glissements de terrain et des avalanches. La même chose se passe dans les Alpes ou dans l’Himalaya, où j’ai aussi travaillé. Nous avons de plus en plus d’infrastructures pour éviter que la route ne soit fermée.

Quel est l’avenir du projet de ligne ferroviaire entre L’Hospitalet-près-l’Andorre et la capitale d´Andorre ?

Compte tenu de la topographie de l’Andorre, le développement des infrastructures et la construction ferroviaire sont très coûteux. J’ai du mal à imaginer qu´Andorre investira dans un tunnel pour faire cette liaison ferroviaire. C’est peut-être possible dans le futur, mais en l’état actuel des choses, je ne vois pas comment ce projet pourrait être financé. Je sais que l’association AndRail effectue des recherches sur ce sujet. Il y a aussi des projets entre l´Andorre et l´Espagne qui prendront beaucoup de temps. À ce stade, il n’y a pas de projet concret. Les coûts sont vertigineux. Les 80 millions d’habitants d’Andorre ne génèrent pas un trafic suffisant pour les millions d’euros qui seraient dépensés pour un tunnel ou une infrastructure extrêmement coûteuse.

Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de vols vers les villes françaises depuis l’aéroport d’Andorre-La Seu ?

Il n’existe actuellement qu’un seul axe entre La Seu et Madrid avecvols hebdomadaires. Des liaisons avec la France… je serais ravi qu’il y ait une liaison entre La Seu et Paris, mais c’est aux autorités andorranes de faire le point sur l’ équilibre économique des nouvelles liaisons.

Parlez-nous des projets de développement des relations commerciales entre la France et l’Andorre. Existe-t-il des projets visant à améliorer la logistique entre l’Andorre et les villes françaises voisines (de nouvelles lignes de bus, par exemple, pourraient favoriser le tourisme gastronomique ou écologique en France) ?

C’est une bonne question car, dans le passé, il existait un service de bus entre Ax-les-Thermes, l’Hospitalet et Andorre. Il y avait des problèmes de sécurité et de contrebande dans le bus et aussi dans le train de Toulouse à Latour-de-Carol. C’était un vrai souci du côté français. Aujourd’hui, il n’y a pas de transport public entre l’Ariège et l’Andorre. Il n’y a qu’une seule ligne Andorre-Toulouse. C’est un problème de financement des transports publics. J’ajouterai qu’il y a un autre problème pour qu’un bus entre l’Andorre et la France existe.

Il faut que ce soit un bus qui aille non seulement au Pas de la Case, mais aussi au centre d’Andorre-la-Vieille, et pourquoi pas dans d’autres paroisses. Mais pour cela, il devrait prendre des passagers en Andorre. Or la législation andorrane actuelle ne le permet pas. Il faut réformer le service des transports publics, il n’est pas satisfaisant. Il faut trouver une solution qui permette aux différents acteurs de se mettre d’accord sur un système qui rende possible le rétablissement de ce service.

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