Einstürzende Neubauten : Normalement, quand on commence un disque, on fait un tour dans un dépôt de ferraille

Einstürzende Neubauten : Normalement, quand on commence un disque, on fait un tour dans un dépôt de ferraille

BLIXA BRARGELD PARLE SUR LE DERNIER DISQUE DE EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, ALLES IN ALLEM, SUR LES FAÇONS DE TRAVAILLER AVEC LE MODÈLE DE FINANCEMENT PARTICIPATIF, SUR SON APPROCHE QUAND IL ÉCRIT DES PAROLES ET SUR lES RESTRICTIONS STRICTES DANS LES DÉPÔTS DE FERRAILLE ALLEMANDS

Peu de groupes ayant 40 ans d’histoire peuvent dire qu’ils ont réussi à garder leur véritable esprit et leur vraie passion pour repousser les limites avec leurs innovations et leurs expériences musicales. Einstürzende Neubauten peut assurément être catalogué comme ce genre de groupes. Créé en 1980 à Berlin-Ouest par Blixa Bargeld, Einstürzende Neubauten joua un rôle important dans la scène musicale industrielle des années 80, qui se développa rapidement. Ses premiers albums étaient un parfait exemple d’une approche intransigeante et avant-gardiste de la création musicale. Le groupe s’est fait connaître grâce à son son agressif et cacophonique, façonné à l’aide d’instruments faits maison à partir de ferraille, d’outils de construction, de chariots de supermarché et d’autres objets industriels.

Tout au long des années 80, Einstürzende Neubauten poursuivit ses expériences avec son son industriel et brutal. La musique du groupe commença à changer sensiblement en 1993, lorsqu’il sortit l’album Tabula Rasa, dans lequel le son était beaucoup plus doux et électronique que sur ses disques précédents. À un moment donné, on eut l’impression qu’Einstürzende Neubauten avait rompu avec ses racines rebelles et s’était orienté vers un côté plus établi du monde musical.

Il changea ses tenues punk et gothiques pour des costumes élégants et classiques, commença à faire des bandes originales pour des pièces de théâtre et participa dans la première partie de la tournée européenne d’U2. Mais les racines rebelles étaient toujours là et rejaillirent de façon éclatante lorsque Einstürzende Neubauten fut écarté de la tournée européenne d’U2 après un malentendu avec le public qui l’avait hué, lequel public qui avait fini se jetant des objets les uns sur les autres.

Einstürzende Neubauten est connu non seulement comme l’un des plus grands innovateurs sonores de la musique moderne, mais aussi comme l’inventeur d’une nouvelle forme de financement des enregistrements directement par les fans, sans la participation d’aucune maison de disques dans le processus de production. Ce nouveau mode de financement, largement utilisé par différents musiciens de nos jours et appelé aujourd’hui « financement participatif », fut inventé par Erin Zhu, l’épouse de Blixa Bargeld. Ce modèle fut testé pour la première fois avec succès pour l’album Supporter Album No 1 et, depuis lors, Einstürzende Neubauten est devenu un véritable groupe indépendant : un collectif musical qui parvient à faire toute sa production par lui-même, uniquement avec l’aide des fans, sans qu’aucune maison de disques n’y soit impliquée.

Nous avons eu l’occasion de parler avec Blixa Bargeld pendant sa quarantaine à Berlin sur le dernier disque d’Einstürzende Neubauten, Alles in Allem, qui sortira le 15 mai, sur son approche quand il écrit des paroles, sur les façons créatives de faire le nouvel album, sur l’impact négatif de la situation créée par la pandémie sur l’industrie musicale et d’autres choses importantes.

Interview : Dmitry Tolkunov

Bonjour Blixa ! Merci beaucoup d’avoir trouvé du temps pour nous, c’est un grand honneur. Le nouveau disque d’Einstürzende Neubauten, Alles in Allem, sortira bientôt. Est-ce que le chemin a été long entre le moment où la première idée de l’album vous est venue et celui où vous avez fini le disque ?

Je ne savais pas et j’avais prévu que nous allions avoir un nouvel album. Début 2019, quand je suis rentré à Berlin depuis Hong Kong, j’ai ressenti le décalage horaire. Je n’arrivais pas à dormir et au milieu de la nuit, j’ai décidé que je devais faire un autre disque. J’ai alors demandé au groupe s’ils voulaient le faire et ils étaient d’accord.

Ma femme a aidé à organiser la campagne de financement participatif sur la plate-forme Patreon. Elle est particulièrement douée pour cela car elle est l’inventrice du financement participatif. Nous avons collecté des fonds pour 100 jours d’enregistrement qui ont duré toute l’année. C’est ainsi que l’album a été réalisé techniquement avec l’aide de ce support et le triomphe final pour les contributeurs au financement participatif devait être un spectacle spécial à Berlin le 20 avril et nombre d’ autres événements dans des galeries d’art, une visite en bus des meilleurs sites de Berlin que j’allais mener et une séance d’écoute de l’album dans notre studio.

Probablement, à cause de la pandémie, tous ces événements sont maintenant reportés, non ?

Ils ne sont pas reportés ; il semblerait qu’ils soient annulés. Les concerts sont interdits à Berlin jusqu’au 19 avril, mais personne ne croit que la situation va changer et que nous pourrons faire un concert le 20 avril. En fait, je ne crois pas non plus qu’il y aura des concerts en Allemagne avant la fin de l’année et il semble que la tournée américaine qui était prévue soit aussi annulée.

La seule chose qui ne change pas c’est que l’album Alles in Allem sortira le 15 mai. Il y aura aussi une édition spéciale de luxe, avec deux disques (un CD et un DVD) avec toutes les sessions de webcams de nos enregistrements en studio que nous avons faits pour nos supporters (qui ont contribué au financement participatif) et un livre avec les paroles.

Cette méthode de financement participatif que vous utilisez pour collecter des fonds pour la réalisation du disque est une pratique largement utilisée aujourd’hui. Mais probablement Einstürzende Neubauten, à l’époque, furent les pionniers de cette approche ?

Oui, ma femme en 2002 a été la première à avoir l’idée de financer de cette façon des projets musicaux. À l’origine, nous l’appelions le « système de soutien » et actuellement nous l’appelons le financement participatif.

Pensez-vous qu’il s’agit d’un modèle viable pour de nombreux artistes ?

Eh bien, ce n’est pas faisable pour tout le monde, mais c’est faisable pour nous de la façon dont nous avons inventé cette approche : nous ne demandons pas seulement de l’argent aux fans pour faire un nouvel album, nous leur donnons pour cet argent quelques bonus comme des événements spéciaux pour la sortie du disque et des éléments du processus de travail, afin qu’ils puissent voir tout ce processus auquel ils participent, dès le début…

Lorsque nous avons commencé à diffuser des sessions de studio en direct pour nos supporters en 2002, les technologies n’étaient pas vraiment là. Nous avions de petites caméras en plastique et nous devions y mettre beaucoup de câbles pour faire le streaming, nous avions un câble suspendu dans une cour et beaucoup de câbles USB pour assembler le tout et faire fonctionner les choses… Maintenant, le streaming est une chose tout à fait banale ; tout le monde sait ce que c’est et peut le faire avec une qualité acceptable ; si vous comparez ceci à la qualité des premiers flux directs d’enregistrements en studio pour l’album Perpetuum Mobile que nous avons fait en 2004, il est actuellement vraiment vintage.

Le fait que la décision de faire un nouvel album soit venue si soudainement et qu’elle ait été imprévue signifie-t-il que vous vouliez suspendre toutes vos activités avec Einstürzende Neubauten pendant un certain temps ?

Non, récemment nous avons été très occupés avec le groupe : nous étions en tournée. Il ne s’agissait pas de la fin du groupe. Mais si nous parlons d’un nouvel album, j’ai vraiment besoin de sentir qu’il est en moi et que j’ai besoin de faire un disque. Je dois ressentir ce besoin en moi, c’est ma façon de travailler. Sans ce sentiment, je ne peux pas aller en studio et enregistrer un album.

Einstürzende Neubauten avait l’habitude de faire de très bons clips. Vous avez des projets de vidéos pour les chansons de Alles in Allem ?

Eh bien, à l’époque où nous avions des vidéos aussi mémorables que Sabrina, nous travaillions avec des maisons de disques et il était couru qu’elles accordent des budgets  pour la création du disque et la réalisation de clips. Mais ceci n’est plus le cas, c’est pourquoi nous ne faisons plus beaucoup de vidéos dernièrement.

Mais il y aura un clip pour la chanson 10 Gram Goldie du nouvel album. Elle sortira en single en version audio et vidéo le 1er avril sur une nouvelle plate-forme de streaming sur laquelle nous travaillons, qui regroupera tous nos anciens enregistrements. Nous sortirons également un mois plus tard sur cette plate-forme de streaming un autre single de l’album Alles in Allem et plus tard deux titres bonus qui ne seront également disponibles qu’en édition de luxe.

Einstürzende Neubauten est connu pour être un grand innovateur sonore. Il recherche des sons uniques en utilisant différents instruments fabriqués sur mesure à partir de différents objets industriels comme la ferraille et les outils de construction. Y aura-t-il des innovations sonores surprenantes sur le nouvel album ?

Normalement, quand on commence un disque, on part en expédition dans un dépôt de ferraille. Mais les lois allemandes ont changé, elles ne permettent plus d’aller aux dépôts. C’est un vrai problème. La dernière fois, après avoir recherché des possibilités et passé de nombreux coups de fil, nous n’avons trouvé qu’un seul dépôt qui était prêt à nous laisser entrer. Mais quand nous y étions, ils ne nous ont pas laissé accéder aux objets intéressants qu’ils avaient et qui auraient pu être utiles pour créer nos objets sonores. Ils ne nous ont laissé qu’accéder au tas d’ordures : c’était un peu frustrant.

Il n’y a eu qu’une seule innovation sonore avec l’utilisation de sacs en tissu à cette fin. En fait, j’avais cette idée depuis quelques années et je m’en suis rendu compte maintenant. Pour tout le reste, nous avons dû nous fier à notre expérience de musiciens.

Vos paroles sont toujours la partie forte et sérieuse des chansons d’Einstürzende Neubauten. Est-ce que vous les écrivez rapidement dans un moment d’inspiration ou est-ce qu’il vous faut beaucoup de temps pour leur donner corps et les polir pour obtenir finalement un morceau de poésie parfait ?

Mon devoir est de prendre des notes tous les jours. En fait, dans l’édition de luxe de Alles in Allem, il y aura un livre de 100 pages avec toutes mes notes liées à l’album, des premières notes aux chansons abouties. Je ne suis pas un écrivain rapide. Je peux écrire une phrase et la suivante peut venir une semaine plus tard ; en général, la création des paroles d’une chanson prend beaucoup de temps.

Y a-t-il des poètes qui vous influencent vraiment ?

Pas beaucoup, peut-être seulement Bertold Brecht.

Participez-vous à d’autres projets musicaux en dehors d’Einstürzende Neubauten ?

Je fais un peu de musique avec Teho Teardo.

Mais tout est figé en ce moment. Je suis maintenant en quarantaine à Berlin et la seule chose que je peux confirmer est la sortie de Alles in Allem le 15 mai.

Quel est votre sentiment face à cette situation de pandémie que nous vivons dans le monde et comment passez-vous vos jours en quarantaine ?

C’est vraiment dévastateur pour nous et pour tous les autres musiciens en tournée. Comme je l’ai dit, je ne pense pas qu’il y ait de tournées cette année.

Personnellement, j’ai beaucoup de temps libre à cause de la quarantaine et j’ai donc commencé à faire des blogs vidéos spéciaux sur la quarantaine trois fois par semaine.

Blixa, nous vous souhaitons de rester fort dans cette période difficile. J’espère que cette situation folle sera bientôt terminée et que nous pourrons voir Einstürzende Neubauten en tournée avec son nouvel album. Merci beaucoup pour cette discussion intéressante.

Merci à vous.

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