L’Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018-2019 a couvert un total de 2.538 km de l’Est de l’Antarctique en 53 jours avec un véhicule à zéro émission tiré par un cerf-volant, a dit l’explorateur espagnol, Manuel Olivera

L’Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018-2019 a couvert un total de 2.538 km de l’Est de l'Antarctique en 53 jours avec un véhicule à zéro émission tiré par un cerf-volant, a dit l'explorateur espagnol, Manuel Olivera

Un groupe d’explorateurs et d’assistants de recherche espagnols ont présenté leur film Unexplored Antarctica 2018-2019 au Festival du film de montagne et de voyage en Andorre. L’équipe était composée de quatre personnes : le chef de l’expédition Ramón Larramendi (un des grands explorateurs polaires du monde, le protagoniste de l’Expédition circumpolaire Mapfre, qui a parcouru 14.000 km en trois ans, l’auteur du projet Inuit WindSled, avec lequel il a déjà voyagé plus de 20.000 km dans l’Arctique et l’Antarctique) et ses collègues Ignacio Oficialdegui (ingénieur expert en énergies renouvelables), Hilo Moreno (guide et assistant à la base antarctique espagnole Juan Carlos I) et Manuel Olivera (ingénieur industriel expert).

C’est un voyage unique qui a révolutionné le monde des sciences polaires en atteignant le cœur de l’Antarctique avec un « véhicule éolien », totalement écologique et économiquement efficace, pour mener une campagne scientifique. Les membres de l’expédition sont restés sur la glace pendant 53 jours, en autonomie totale, à travers l’une des zones les plus inconnues et les plus inhospitalières de l’Antarctique.

L’un des membres de l’expédition, Manuel Olivera, nous a parlé des principales cibles de l’expédition et a partagé ses impressions sur ce continent miracle.

D’origine majorquine, Manuel Olivera est ingénieur industriel diplômé de l’université polytechnique de Madrid. Il a ensuite obtenu une maîtrise en génie civil à l’USC, en Californie.

Dès son plus jeune âge, il était déjà attiré par la montagne et l’aventure. En 1987, il fut le chef d’expédition à l’École technique d’ingénieurs industriels de l’UPM, dans les Andes péruviennes. L’année suivante, il a parcouru la côte espagnole de Cantabrie en kayak avec Ramón Larramendi. Deux ans plus tard, il a participé à l’Expédition circumpolaire Mapfre de Ramón, de 1990 à 1993. Ensemble, ils ont parcouru des milliers de kilomètres en trois périodes différentes, pour un total de 16 mois.

Depuis 1994, il travaille à l’entreprise espagnole où il occupe le poste de directeur international de l’usine de construction.

Dans le cadre de l’Expédition de circumnavigation du Groenland de 2014, Manuel était responsable de la communication et de la gestion des projets scientifiques.

Il a également participé en tant qu’expéditionnaire à l’expédition Greenland Ice Summit en 2016.

Of Mallorcan origin, Manuel Olivera

Parlez-nous de la dernière expédition – Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018-2019 ?

C’était la troisième fois que le projet WindSled se rendait en Antarctique (précédemment en 2005-2006 et 2011-2012), mais cette fois avec un véhicule amélioré, un objectif 100% scientifique et un trajet d’exploration qui représentait un défi étant donné la haute altitude atteinte, uniquement alimentée par l’énergie éolienne.

Comme d’habitude, il était dirigé par l’Espagnol Ramón Larramendi, qui a organisé 7 expéditions au Groenland et 3 expéditions à l’Antarctique.

L’Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018-2019 a couvert un total de 2.538 km de l’Est de l’Antarctique en 53 jours, par un trajet triangulaire qui n’avait jamais été réalisé auparavant par une expédition internationale sans des moyens motorisés ni aide extérieure.

WindSled est un véhicule à zéro émission tiré par un cerf-volant, relié au traîneau par une double laisse de 350 m et contrôlé manuellement comme un cerf-volant d’enfant. Il se compose de trois traîneaux reliés entre eux. Ce type de véhicule a été inventé par Ramón Larramendi en 1999, lors d’un voyage au pôle Nord (Ramón était le seul civil d’un groupe de militaires espagnols). Il cherchait un moyen plus facile de se déplacer sur la glace polaire, au lieu des traîneaux à chiens. C’est ainsi que l’idée est née.

Cette construction en bois démontre, après près de 24.000 km déjà parcourus dans les territoires polaires, que l’éco-véhicule polaire est une alternative efficace, la plus durable et la plus rentable à ce jour pour la recherche polaire mondiale, même dans les conditions les plus défavorables.

Comment êtes-vous arrivé en Antarctique ? Quand avez-vous commencé votre dernière expédition ?

Nous sommes allés au Cap avec un vol régulier. Là-bas, il nous fallait encore acheter de la nourriture et les derniers petits éléments pour l’expédition. Le 8 décembre, nous avons pris un vol ALCI du Cap à Novolazarevskaya ; cette entreprise de logistique sert principalement à des bases scientifiques. Il s’agissait d’un gros avion russe, un avion-cargo anciennement militaire. À bord, nous étions une quinzaine de personnes, y compris l’équipe, et la plupart de l’espace était utilisé pour la cargaison des bases : des tonnes de matériel, de nourriture et même de la bière !

L’aéroport de Novolazarevskaya est une piste temporairement située sur la glace. Elle est souvent fermée à cause des tempêtes de neige. Il porte service à des avions à 4 moteurs.

Nous avons en fait commencé notre expédition depuis Novolazarevskaya – c’est le nom de la base russe qui fut ouverte en 1961 lors de la 6º expédition soviétique à l’Antarctique. La base est située dans la partie sud-est de l’oasis de Schirmacher sur la côte de la terre de la Reine-Maud, à environ 80 km de la côte de la mer de Lazarev. Ici, des recherches sont menées sur la météorologie, la géophysique, la glaciologie, l’océanologie, etc.

Nous sommes partis vers l’intérieur du continent, le dôme Fuji, situé à 3.810 m d’altitude.

Au cours de cette expédition, nous avons visité la base Plateau – une ancienne base américaine qui a été abandonnée il y a 50 ans. C’était l’une des principales étapes de notre voyage : passer par cet endroit étrange, complètement recouvert par la neige.

C’était une base assez petite : quatre scientifiques et quatre membres de la marine. Elle fut construite en 1965 et fut fermée en janvier 1969. La base Plateau était la plus éloignée et la plus froide de toutes les bases américaines du continent. C’est aussi à cet endroit que la température moyenne la plus froide du monde à cette époque-là fut mesurée pendant un mois, enregistrée en 1968 (-73,2°C).

Et maintenant, quel est le record de la température la plus basse ?

Elle est de -98°C (mais elle a été enregistrée par les satellites). Physiquement, la température fixe la plus basse a été enregistrée en 1983 sur la base de Vostok : elle était de -89,2°C. C’est l’hiver antarctique…

Et l’été en Antarctique ? À quel point a-t-il fait « chaud » pendant votre expédition estivale ?

Comme nous avons toujours été à des altitudes supérieures à 3000 m (c’est la profondeur moyenne de la glace couvrant l’Est de l’Antarctique), la température minimale était d’environ -42°C. Les températures maximales en été dans cette région ne dépassent pas -20°C.

Dans quel but cette base a-t-elle été utilisée ?

Jusqu’à l’ouverture de la base du dôme Fuji en 1995, la base Plateau était l’avant-poste le plus élevé à 3.624 m d’altitude, ce qui faisait de la base un lieu utile pour la recherche en haute altitude. Ici, il y avait même un aéroport avec des avions comme l’Hercules C-130 avec un train d’atterrissage de ski. Une tour météorologique de 32 m fut érigée avec des instruments à différentes hauteurs pour surveiller la couche d’inversion d’air thermique persistante au-dessus de la neige antarctique.

L’un des principaux objectifs de la base était l’observation solaire, étant donné la haute altitude, l’air pur et la distance relativement courte par rapport au soleil pendant l’été austral. Parmi les principales activités, on peut citer : les études micrométéorologiques (vitesse et direction du vent ainsi que température) ; l’éclairage polaire provenant de sources directes et diffuses (la base Plateau était idéale pour mesurer ceci dû aux conditions atmosphériques relativement claires) ; les études de la haute atmosphère et du géomagnétisme.

On sait qu’en 1966, les habitants du camp ont subi un grave tremblement de neige, qui a apparemment été causé par des cristaux de givre sous la surface.

C’est difficile à imaginer, mais les militaires et les scientifiques ont vécu complètement isolés du monde pendant toute l’année, puis une autre équipe les a remplacés…

Quelles sont les principales recherches que vous avez effectuées au cours de votre expédition ?

En plus de bouger, nous avons dû faire beaucoup de travail ! En fait, nous avons eu beaucoup de tâches de différentes universités et institutions scientifiques, ayant beaucoup de responsabilités de recherche.

Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018/19 a amené à bord dix projets de recherche éminents en biologie, géologie, prévisions météorologiques, télécommunications, sciences et exploration spatiales, et de l’environnement. C’était une occasion unique pour les scientifiques de collecter des données dans une zone pratiquement inexplorée et qui manquent d’« information de terrain ». Plusieurs projets sont relatifs à la détection de signes de vie dans des conditions extrêmes, en relation avec la recherche de la vie sur d’autres planètes, mais aussi concernant la pollution de l’environnement, la physique, le changement climatique, etc.

Pourriez-vous nous donner plus de détails ?

Tout d’abord, le projet GESTA (Galileo Experimentation & Scientific Tests in Antarctica) consistait à transporter deux dispositifs récepteurs : l’un d’eux servait à étudier la luminescence dans l’ionosphère, comme la scintillation qui donne vie aux aurores australes. Un autre a permis de tester comme les signaux sont reçus par la constellation des satellites de positionnement de l’Agence spatiale européenne à l’intérieur de l’Antarctique, ce qui a été fait pour la première fois sur le continent le plus froid.

Puis, avec une foreuse spéciale, nous avons obtenu des échantillons cylindriques de neige et de glace mesurant jusqu’à 4 mètres de profondeur. Ces échantillons seront traités et envoyés à l’université de Main (USA), pour l’analyse de leurs éléments chimiques, de leurs particules, de leurs gaz et de leurs microbiologie.

Sur le traîneau, nous avons installé une station météorologique automatique (SMA) pour recueillir des données météorologiques, notamment sur la vitesse et la direction du vent pendant le trajet. Elle a été complétée par la collecte d’échantillons d’air et toutes les données ont été envoyées à l’université autonome de Madrid.

L’objectif du projet scientifique du groupe de recherche spatiale de l’université d’Alcalá de Henares était de créer une cartographie de l’environnement de rayonnement naturel observé le long de notre itinéraire prévu. Pour cela, ils ont installé un capteur, qui a déjà été testé lors de l’expédition Ice Summit de 2016. Avec les mesures recueillies, en plus de l’étude de la radiation de l’environnement, sera analysée la viabilité de la plateforme WindSled pour le développement d’observations systématiques à l’Antarctique.

Ensuite, WindSled a transporté à bord l’analyseur de la dynamique environnementale de Mars (MEDA). Ces capteurs sont des instruments homologués pour se rendre sur Mars dans le cadre de la mission MARS 2020, développée par le Centre d’astrobiologie (CSIC-INTA) et l’Université d’Alcalá de Henares. Ils sont constitués de radiomètres et de capteurs de température de l’air qui pointent vers le ciel et le sol. MEDA a étudié la poussière de l’environnement et la réponse temporelle aux changements et aux phénomènes météorologiques. De même, il a enregistré la pression environnementale de la surface, les températures de l’air et du sol, l’humidité relative dans l’environnement, les vents et les radiations ultraviolettes, visibles et infrarouges. Pour les chercheurs, il était essentiel de le tester dans l’Antarctique afin de voir sa réponse dans des conditions extrêmes.

Le projet SENTINEL, de l’Institut d’évaluation environnementale et de recherche sur l’eau (IDAEA-CSIC), pendant l’expédition, était concentré sur la détection des polluants organiques persistants (POP) dans l’écosystème de l’Antarctique. Au cours de l’expédition, des échantillons d’air et de neige ont été prélevés et seront analysés ultérieurement à la recherche de ces substances polluantes.

De plus, le WindSled transportait à bord un appareil portable dont les capteurs ont révélé des bactéries et des virus. Cet instrument a été développé en Espagne pour détecter la vie extraterrestre dans le cadre de l’exploration planétaire. Il est basé sur les microréseaux à anticorps pour la détection et l’identification de composés biochimiques par l’analyse « in situ » d’échantillons de sol et de liquide. Cette campagne consiste à prélever des échantillons de glace, à la recherche de parallélismes avec des découvertes futures sur d’autres planètes par le Centre d’astrobiologie de l’INTA.

Est-ce que des études ont été réalisées sur les changements de température de l’air ?

Oui, c’était une tâche de l’université d’Alcalá de Henares. Au cours des dernières décennies, on a décrit une augmentation de la température annuelle moyenne de l’air, mais sur la base de l’analyse des données fournies par les satellites et les stations de surveillance atmosphérique statique AWS, réparties dans tout le continent. Cependant, on a jamais obtenu ni étudié auparavant les données provenant d’une section dynamique. Ainsi, notre objectif était d’analyser l’évolution de la température de l’air le long de cette section de l’Antarctique. Les données seront interpolées et calibrées avec celles acquises par les stations météorologiques statiques AWS.

En quoi consistait l’expérience de déliquescence dans la strate glaciaire de l’Antarctique ?

Cette expérience permettra de déterminer si de l’eau liquide transitoire peut se former dans le sel (sel de table commun NaCl) à partir de la déliquescence dans les conditions extrêmement froides et sèches de la strate glaciaire de l’Antarctique. Ces conditions sont analogues à celles de Mars. Il a été démontré que les roches salines (NaCl) favorisent l’activité de l’eau liquide dans des environnements tempérés extrêmement secs, comme le désert hyper arctique de l’Atacama. Ceci est dû au phénomène appelé déliquescence. Il s’agit de vérifier l’hypothèse selon laquelle la déliquescence du sel peut aussi avoir lieu dans des conditions de froid extrême de la strate glaciaire. Nous avons utilisé des capteurs de HR&T et de conductivité électrique (CE) noyés dans un substrat de sel et qui collecteront des données toutes les 15 minutes. L’expérience aidera à comprendre le processus et les conditions dans lesquelles l’eau liquide peut encore se produire dans des environnements extrêmement froids et secs, y compris sur la surface de Mars.

Des panneaux solaires ont été installés sur le traîneau. Dans quel but ?

Les panneaux solaires étaient à l’origine destinés à obtenir l’énergie nécessaire pour nos appareils habituels ainsi que pour la science à bord. Et plus tard se produit le projet HELIOS (UNIVERSITÉ DE VALENCIA), dont le but est d’identifier les communautés d’organismes qui colonisent des environnements avec une certaine particularité. Actuellement, HELIOS étudie les organismes qui colonisent les panneaux solaires. Les surfaces photovoltaïques combinent plusieurs facteurs de stress tels que la température, la radiation, la dessiccation et une faible concentration de nutriments. L’expédition WindSled « Unexplored Antarctica Dome Fuji 2018-19 » a offert une grande opportunité d’étudier les communautés microbiennes extrémophiles présentes dans les zones isolées de l’Antarctique. Les panneaux solaires du traîneau ont servi de « piège à extrémophiles » le long du trajet.

Combien de stations de recherche fonctionnent actuellement sur l’Antarctique ?

Il y en a environ 80. La plupart d’entre elles ne sont ouvertes qu’en été. Par exemple, les deux bases espagnoles ne sont ouvertes qu’en été.

Quelles sont vos impressions personnelles sur l’Antarctique ?

Eh bien, c’était ma première expédition en Antarctique et cela n’a rien à voir avec le temps plus chaud du Groenland, où j’avais été auparavant. C’est comme si j’étais allé sur la Lune, vraiment. C’est complètement plat.

L’Antarctique est un continent immense ; 28 fois plus grand que l’Espagne.

Comment vous êtes-vous préparé pour le voyage ? Et ceci a changé votre vie d’une manière ou d’une autre ?

Je n’ai rien fait de spécial. Nous étions tous très concentrés. Ramón nous invita à participer à l’expédition 10 mois à l’avance, et nous avons donc eu assez de temps pour nous préparer. De plus, nous nous connaissions grâce à des expéditions précédentes, ce qui est très important.

La première fois que je suis allé à l’Arctique, c’était en 1990 (c’était un voyage d’un an au Groenland et au Canada). À mon retour, j’ai été complètement déconnecté. J’étais perdu et il m’a fallu du temps pour revenir à la réalité.

Mais maintenant, après ma dernière expédition, tout va bien.

Qui était le sponsor de l’expédition ?

L’un de nos sponsors était la Fondation Prince Albert II de Monaco. La Fondation a été initialement créée en 2006 par le Prince Albert II de Monaco et elle se concentre sur la protection de l’environnement, le développement durable, le changement climatique et la promotion des énergies renouvelables, ainsi que de la biodiversité.

D’autres collaborateurs ont été l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC).

Le principal sponsor de l’expédition était une agence de voyages d’aventure appartenant à Ramón. Le budget total était d’environ 300.000 euros.

Est-ce qu’il y aura une autre expédition ?

Probablement cette année, lors de l’été de l’Antarctique. Cette expédition va être la plus longue : environ 100 jours de navigation et plus de 5.000 km. Mais cette fois, je ne peux pas y participer.

Interview: Irina Rybalchenko

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