David Trueba – réalisateur, écrivain et journaliste qui écrit pout deux journaux espagnol – El País et El Periódico de Catalogne. Il est lauréat de six prix Goya pour les films Soldados de Salamina, Madrid 1987, Vivir es fácil con los ojos cerrados et le documentaire Si me borrara el viento lo que yo canto. Nous lui avons demandé son opinion sur l’avenir des médias écrits. Nous lui avons demandé aussi si les médias numériques seraient en mesure de supplanter complètement les journaux et magazines papier, et nous avons également découvert son opinion personnelle sur la tendance à la numérisation du journalisme et de la culture mondiaux:
« Absolument tous les médias imprimés sont aujourd’hui largement représentés sur Internet : c’est un fait. Mais il y a encore des gens qui aiment feuilleter de vrais journaux et magazines. C’est la minorité par rapport à ceux qui préfèrent recevoir les informations sur Internet, c’est vrai. Comme il est vrai que la plupart des gens préfèrent Spotify plutôt que la musique live ou l’opéra. Comment préférez-vous écouter la Traviata ? Restez chez vous dans un fauteuil confortable ? Ou payer 70 euros pour un billet et aller au théâtre Bolchoï, par exemple ?
C’est une question de préférence personnelle, de la même façon que pour les sources d’information, certains préfèrent une source digitale, et certains lisent toujours les médias sur papier. C’est une question d’habitude, c’est le plus difficile à expliquer. Et nous devons respecter le fétichisme inhérent à certaines personnes, même si elles sont minoritaires.
Notre société est beaucoup plus compliquée que nous le pensons. Nous vivons depuis longtemps deux vies : une réelle et une autre virtuelle. Le sexe en peut être un bon exemple : dans le monde moderne, les idées à ce sujet ont beaucoup changé. Le sexe à distance ou le sexe virtuel est apparu partout : certaines personnes préfèrent la masturbation aux vraies relations sexuelles. Et il y a de plus en plus de personnes de ce genre.
Ici la question est différente. Qu’est-ce qui est plus important et plus nécessaire pour la société aujourd’hui ? Vous avez raison, la plupart des membres de la société moderne reçoivent les informations en lisant les actualités sur leur smartphone. Aujourd’hui, un smartphone fait partie intégrante de notre vie : c’est le moyen de communication le plus important. Et c’est naturel. Dans le smartphone, nous obtenons les soi-disant « informations rapides », nous prenons connaissance d’un fait qui s’est passé il y a une minute.
Mais que faire si nous voulons en savoir plus ? Pour les détails, les enquêtes, la recherche et l’analyse, nous nous tournons vers les médias spécialisés. Sans de tels articles analytiques, les informations seraient incomplètes, les gens ne recevraient qu’une « tranche » de l’information, des informations tronquées. Et l’analyse n’est pas le type d’information qui peut être lue sur un smartphone. Sur un écran d’ordinateur, c’est autre chose. Mais tout le monde n’utilise pas d’ordinateurs dans les cafés ou d’autres lieux publics où les médias imprimés traditionnels sont disponibles.
Ce qui manque aux médias numériques, à mon avis, c’est davantage de personnalisation. De vraies personnes travaillent sur des articles et leurs noms sont très importants. Le lecteur doit savoir qui est la personne qui écrit pour lui. C’est une question de faire confiance à la source d’information. Et dans les médias numériques, les auteurs et les sources ne sont pas toujours indiqués. Les médias numériques devraient également travailler en permanence pour améliorer la qualité du contenu et ne pas se limiter à de brèves informations sur quoi, où et quand un fait s’est déroulé.
Si vous me demandez mon avis personnel, je vous répondrai que je préfère les médias en papier. C’est une question d’habitude. Je n’associe pas non plus les médias en papier aux problèmes environnementaux. Je ne pense pas que l’utilisation du papier pour la production de journaux et de revues affecte fortement la situation environnementale de la planète. Je suis beaucoup plus préoccupé par le sujet du réchauffement climatique, la pollution de l’air dans les grandes villes, le manque de neige dans les pays du Nord…
J’ai moi-même étudié à la faculté de journalisme. Si nous parlons du journalisme en tant qu’industrie, nous devons toujours nous rappeler que cette industrie doit être rentable. Le revenu de tout média est la vente de publicité ou d’une partie du contenu. C’est une question d’économie, une question de survie des médias. Et c’est une question beaucoup plus importante que d’autres.
Que se passera-t-il à l’avenir ? Quelle est mon opinion ? Seuls les médias économiquement plus rentables resteront : ce seront les médias numériques. Mais encore, il restera une partie de la société qui préférera un produit imprimé : les journaux et magazines resteront. Mais il est évident qu’après la révolution numérique que nous vivons en ce moment, les médias imprimés du monde entier continueront à réduire leur diffusion et seront plus représentés sur Internet, encore une fois dû à l’efficacité économique. Il est évident que les médias numériques peuvent survivre beaucoup plus facilement que les médias imprimés. »