La possibilité d’une action contre l’État par des investisseurs en raison des mesures prises à l’occasion du Covid-19 est envisagée, a dit le président du TAPA, spécialiste des litiges internationaux, Pierre Raoul-Duval

Le Tribunal Arbitral de la Principauté d’Andorre (TAPA) est une institution créée en 2018. En mai 2021, le gouvernement d’Andorre a approuvé l’autorisation du début de l’activité du TAPA, dont la mission est d’administrer des procédures arbitrales nationales et internationales, en droit comme en équité. Le président du TAPA, spécialiste des contrats et litiges internationaux, Pierre Raoul-Duval, nous a parlé des avantages du TAPA par rapport aux Tribunaux de l’Ordre Judiciaire d’Andorre, ainsi que la possibilité d’une action contre l’État par des investisseurs étrangers en raison des mesures prises à l’occasion du COVID-19 :

“Les différences entre le TAPA et les Tribunaux de l’Ordre Judiciaire d’Andorre sont celles relevant de la nature même de ces deux institutions, qui ont toutes deux à connaitre de litiges civils ou commerciaux.

Le TAPA est une institution chargée d’administrer, de manière privée, les arbitrages qui lui sont soumis par les parties, en application du Règlement d’arbitrage du TAPA, et qui seront tranchés par des arbitres désignés en application dudit Règlement.

En revanche les Tribunaux de l’Ordre Judiciaire d’Andorre voient les litiges qui leur sont soumis tranchés publiquement par des juges nommés conformément à la loi et devant lesquels l’instruction et la solution de l’affaire sont régi par les dispositions du Code de Procédure Civile de la Principauté.

S’agissant de la désignation des arbitres, les règles sont les suivantes. Si les parties sont convenues que leur litige sera tranché par un arbitre unique, elles doivent se mettre d’accord sur le nom de ce dernier, à défaut sa désignation sera faite par le TAPA. Si les parties sont convenues de la constitution d’un tribunal composé de trois arbitres, le demandeur et le défendeur désignent leur arbitre respectif et le TAPA désignera le Président, sauf si les parties en sont convenues autrement.

En tout état de cause, le TAPA devra confirmer les désignations faites par les parties pour que celles-ci soient effectives. Si une partie s’oppose à la nomination de l’arbitre désigné par l’autre partie, elle peut le faire par la voie d’une demande de récusation.

La récusation de l’arbitre pourra être prononcée par le TAPA s’il existe des circonstances donnant lieu à des doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance.

Parmi les autres avantages prêtés à l’arbitrage – outre le choix des arbitres qui seront chargés de trancher le litige – figure principalement ceux liés aux délais, aux coûts et à la confidentialité.

En matière de délai, l’arbitrage présente l’avantage de donner lieu à une sentence qui n’est pas susceptible de voies de recours (Appel, recours en Cassation) de sorte que les délais sont potentiellement infiniment plus court que les procédures judiciaires étatiques.

Là ou un processus judiciaire complet peut s’étaler sur plusieurs années, la durée d’une procédure arbitrale se comptera en termes de mois seulement.

Il est évident que l’impact coût, corollaire des délais, sera également très appréciable.

Enfin, la confidentialité est jugée appréciable pour les plaignants – demandeurs comme défendeurs – qui évitent, en choisissant l’arbitrage, de voir porter leur différend devant la place publique.

J’ajouterai qu’Andorre étant signataire de la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences étrangères, les sentences rendues sous l’égide du TAPA seront aisément reconnues dans le monde entier – ou peu s’en faut – alors qu’un jugement des tribunaux ordinaires devra cheminer par la voie d’une procédure locale d’exequatur qui peut déboucher sur une révision au fond de la décision de justice.

S’agissant des honoraires des arbitres, ils ont été fixé en s’inspirant de ceux pratiqués par les institutions arbitrales internationales de référence mais sont très sensiblement inférieur à ceux résultant des formules retenues par ces dernières. Le succès de l’arbitrage repose sur la qualité des arbitres, leur professionnalisme, leur intégrité et leur disponibilité notamment. Leur rémunération ne saurait être qualifiée de trop élevée dès lors qu’elle est à la mesure du talent déployé et du temps consacré pour trancher les litiges avec la rigueur qui s’impose.

En plus, Le TAPA a vocation à administrer des arbitrages aussi bien « domestiques », entre parties andorranes à l’occasion de litiges interne à la Principauté, que des arbitrages dits « internationaux » i.e. qui mettent en jeu les intérêts du commerce international. Toute partie, quelque soit sa nationalité, peut recourir au TAPA en application de la clause d’arbitrage attribuant compétence à ce dernier et figurant au contrat dont elle est signataire ou d’un compromis d’arbitrage – signé une fois le litige né – soumettant ce dernier au TAPA.

La confidentialité est considérée, nous venons de le voir, comme un des grands avantages de l’arbitrage. Notons toutefois que son champ n’est pas sans limite. Si une partie venait à saisir les tribunaux andorrans en cours de procédure, le litige sera dévoilé au public sans qu’il soit possible d’avoir à en redire. Par ailleurs, si une partie prenait l’initiative d’en informer les journalistes, le litige pourrait devenir public si ces derniers devaient en faire état. Restera pour la partie à laquelle cette divulgation porterait préjudice à recourir à une procédure pour obtenir rapidement des mesures visant à mettre fin à la divulgation et à intenter une action en responsabilité pour violation de l’obligation contractuelle de confidentialité et en obtenir réparation.

Pour ce qui est des procès contre les Etats, le Règlement des Différends entre Investisseurs et États (RDIE) est un instrument présent dans de nombreux accords de libre-échange, accords bilatéraux d’investissement (BIT) ou autres types d’accords économique et commercial qui permet aux entreprises d’attaquer un État devant un tribunal arbitral international – spécifié dans la clause RDIE – le plus souvent devant le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI), organe dépendant de la Banque Mondiale.

Au cours des dernières années c’est près d’un millier d’arbitrage d’investissements que le CIRDI a eu à connaitre dont une partie importante – près de la moitié – ont fait l’objet de sentence favorable aux investisseurs.

En dehors de ces arbitrages d’investissements, de très nombreux arbitrages internationaux opposent des parties personnes morales privés à des personnes morales de droit publics. Il est généralement reconnu en arbitrage international qu’une personne morale de droit public ne saurait s’abriter derrière des règles de son propre droit national pour s’opposer à la mise en jeu d’une clause arbitrale qu’elle aurait librement consentie.

Et enfin, la possibilité d’une action contre l’État par des investisseurs étrangers en raison des mesures prises à l’occasion du Covid-19 est aujourd’hui ouvertement envisagée.

Cependant, à ma connaissance, aucun arbitrage n’a encore été initié.

Il est vrai que les chances de succès sont assez ténues car les arguments fondés sur la force majeure et sur l’état de nécessité des mesures adoptées par l’État seront difficiles à combattre. Cela dépendra de la nature, forme et portée des mesures prises et de leur caractère abusif ou discriminatoire.

Pour ce qui est des actions qui ne se situeraient pas dans le cadre de RDIE, je vois mal comment de telles actions pourraient faire l’objet d’un arbitrage en application des lois nationales qui retiendront certainement la compétence des juridictions étatiques”.

Irina Rybalchenko

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