Aspects généraux du droit des Etats fédéraux contemporains

Au vu de ce qui vient d’être développé, on pressent que l’Etat fédéral est un équilibre précaire entre les Etats le composant et le pouvoir fédéral. Le curseur peut se déplacer et l’on peut aller d’un système très proche d’une confédération à une organisation rappelant l’Etat unitaire régional : ce délicat équilibre rend les frontières mouvantes.

Si l’on considère que la souveraineté doit aller à l’ensemble du peuple composant l’Etat fédéral alors on se rapproche, par le biais du principe d’égalité, d’un Etat unitaire, mais si, à l’inverse, l’on pense que c’est le peuple de chaque entité fédérée qui est souverain, alors la balance penche sensiblement vers une organisation rappelant une confédération.

Dans le premier cas, cela conduit à une baisse du pluralisme juridique et donc des conflits de lois, notamment en raison de l’importance donnée au principe d’égalité et du fait que le citoyen est avant tout considéré comme un citoyen de l’Etat fédéral. Les solutions sont donc à chercher dans la constitution et la jurisprudence fédérale. Dans l’autre cas, le principe d’autonomie des Etats met en échec celui d’égalité de tous les citoyens fédéraux. Le Pr. M. ROSENFELD indiquera à ce propos : « En d’autres termes, du fait que la fonction primaire du fédéralisme est de promouvoir une dose satisfaisante de contrôle local et par là d’accroître la liberté des majorités locales, elle semblerait fondamentalement en contradiction avec l’égalité pour tous dans la nation tout entière.

Au moins aussi longtemps que l’égalité sera conçue comme requérant que tous les citoyens soient traités de la même façon, le fédéralisme apparaîtra contrecarrer la réalisation d’une égalité constitutionnelle véritable » (Pr. M. ROSENFELD, « Egalité constitutionnelle et constitutionnalisation aux USA », in « droit constitutionnel local », Economica PUAM, 1999, p. 341).

Cette dernière option permet un plus large pluralisme juridique et surtout laisse toute souveraineté aux Etats fédérés pour élaborer chacun leurs propres solutions aux conflits normatifs pouvant se poser dans leur domaine de compétences. L’étude des Etats fédéraux permettra de dégager, dans le cadre de cette problématique, les grandes évolutions des Etats fédéraux contemporains.

Il convient de souligner le rôle central du juge constitutionnel dans les transformations qui affectent les Etats fédéraux avant de se pencher sur le poids des pratiques institutionnelles.

1-) Le rôle du juge constitutionnel

Il est très souvent affirmé que le juge constitutionnel, garant de l’équilibre fédéral en raison de son rôle dans la détermination du partage des compétences, a plutôt été favorable aux Etats fédéraux. La Nation et son unité semble alors prendre le pas sur les Etats fédérés. Cependant, cette affirmation est loin d’être évidente et l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle, tant américaine qu’allemande, permet de démentir en partie cette assertion et tend à faire repasser la souveraineté du côté du peuple des Etats fédérés.

α-) Les Etats-Unis

Il est tout à fait exact de poser que la Cour suprême a favorisé, notamment au cours du XIXème siècle, une forte extension des compétences de l’Etat fédéral. Cette croissance des pouvoirs accordés à Washington est basée sur quatre grands principes, soit tirés de la Constitution américaine par la Cour Suprême, soit posés par elle en dehors de tout texte.

1. Il s’agit, pour commencer, de la théorie des pouvoirs implicites, ou implied powers. Pour élaborer ce concept, la Cour Suprême s’est basée sur le texte constitutionnel et particulièrement sur la section 8 de l’article 1 qui indique – limitativement – les pouvoirs du Congrès. Selon la Cour Suprême, le pouvoir fédéral peut intervenir, évidemment, dans les domaines prévus par la Constitution mais également dans ceux qui, sans être expressément attribués par elle au pouvoir central, sont nécessaires pour qu’il puisse mener à bien les tâches qui lui ont été confiées par la Constitution. Cette solution se trouve exposée dans un arrêt rendu par la Cour Suprême en 1819, Mac Culloch v. Maryland (17 US 4 wheat 316, 1819).

2. Ensuite, la clause de commerce a également permis une très forte extension du pouvoir fédéral, d’autant plus que l’interprétation donnée de l’art. 1, section 8 de la Constitution a été de plus en plus large. En effet, après avoir considéré dans sa décision Gibbons v. Ogden de 1824 (22 US 9 wheat 1, 1824) que le pouvoir fédéral pouvait réglementer le commerce entre Etats, ce qui constituait déjà une lecture extensive de la Constitution, la Cour Suprême a considéré dans un arrêt de 1942, Wickard v. Filburn (317 US 11, 1942) que le Congrès pouvait intervenir pour encadrer toutes les activités économiques, y compris internes à un Etat, pourvu qu’elles aient un effet, même si celui-ci n’est qu’indirect, sur le commerce entre Etats.

Autant dire que n’importe quelle activité peut être concernée, car toutes sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats. Il y aurait certainement un parallèle à tracer avec le droit et la jurisprudence communautaires (arrêt CJUE, 20/2/1979, C-120/78 Rewe-Zentral AG dit cassis de Dijon par exemple).

La décision Heart of Atlanta Motel Inc v US, 1964 (379 US 241 1964) est particulièrement révélatrice de ce point. Dans cet arrêt, la Cour Suprême a décidé que la politique de discrimination raciale pratiquée par l’hôtel en question affectait le commerceentre Etats dans la mesure où elle tendait à décourager toute initiative de voyage chez les noirs américains.

3. La clause de general welfare a également permis de justifier l’intervention de l’Etat fédéral dans de nombreux domaines, même s’il s’agissait plutôt de questions sociales, et cela, malgré l’absence de dispositions dans le texte même de la Constitution. Deux arrêts ont consacré cette solution : US v. Butler, 1936 (297 U.S. 1) et, issu d’une Cour d’appel fédéral, US v Smith, (106 F.2d 726, 4th Cir.), 1939.

4. Enfin, l’abandon de la jurisprudence du double standard dans le domaine de la protection des droits fondamentaux après la seconde guerre mondiale, qui laissait jusqu’alors chaque Etat interpréter et décider des mesures à mettre en œuvre pour garantir les droits individuels, ajoué un grand rôle dans l’extension des compétences du pouvoir fédéral dans un domaine absolument essentiel. La décision Brown v. Board of education of Topeka de 1954 (347 US 483, 1954) marque l’abandon de cette théorie.

Ce faisant, le pouvoir fédéral semblait pouvoir s’étendre à tous les domaines dans lesquels les Etats étaient amenés à intervenir. Cela amène à une certaine unification des règles applicables dans de très nombreux domaines et donc, à une diminution des conflits possibles (les règles applicables étant matériellement les mêmes), y compris lorsque les Etats fédérés paraissaient devoir être compétents.

Cependant, même si cette tendance à la centralisation est certaine, elle semble être ensuite remise en question par la Cour Suprême et se base, ainsi que cela sera développé par la suite, sur une interprétation plus large du Xème amendement de la Constitution (« Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux États, sont conservés par les États respectivement ou par le peuple »). La Cour cherche à réduire les pouvoirs du Congrès et a pour cela mis en place une construction originale : la souveraineté dualiste. On ne saurait que trop renvoyer aux écrits du Pr. DUGUIT cités précédemment.

Ce mouvement s’est amorcé dans les années 90 et l’on peut même le faire débuter avec l’arrêt Lopez de 1995 (US v. Lopez, 514 US 549, 1995). Lors de cet arrêt, pour la première fois depuis le New Deal, les juges ont refusé une intervention du Congrès basée sur la clause de commerce. Le pouvoir fédéral voit donc une limite se dessiner aux possibilités qui lui étaient offertes par le bais de cette clause, et cela renforce d’autant la spécificité du droit des différents Etats. C’est un peu à rebours de ce qui se passe dans l’UE où les législations prises en matière commerciales doivent servir à l’unification du droit.

Cela réaffirme dans le même temps l’autonomie des différents Etats dans leur domaine de compétence. Le lien avec la clause de commerce pour justifier l’intervention du pouvoir fédéral, s’il peut être lâche, ne peut s’étendre à l’infini Il faut cependant relever que dès l’arrêt NLRB v. Jones and Laughlin Steel 301 US 1, 81 (1937) avait déjà indiqué : « le commerce entre Etats doit être apprécié à la lumière de notre système de gouvernement dualiste et ne doit pas être élargi au point d’inclure des effets si indirects et éloignés sur le commerce interétatique que leurinclusion brouillerait dans une société complexe comme la nôtre, la distinction entre le national et le local, et créerait un gouvernement intégralement centralisé ». Cette tendance se trouve confirmée avec l’arrêt Seminole Tribe v. Florida (517 U.S. 44, 1996).

Lors de cet arrêt, la Cour Suprême a affirmé plusieurs fois qu’un Etat fédéré est une entité souveraine au sein de l’ensemble américain. Cette formule préparera la notion de souveraineté duale ou partagée (dual sovereignty) qui sera explicitée lors de la décision Printz v. US (521 US 898, 1997).

Ce dernier arrêt concerne la loi Brady qui souhaitait contrôler la vente des armes à feu et ce qui a provoqué l’invalidation de cette loi fédérale par la Cour Suprême c’est qu’elle prévoyait que les autorités locales étaient chargées d’exécuter cette réglementation fédérale. Ce que souligne la Cour Suprême c’est que, dans un système fédéral où les Etats fédérés doivent être considérés comme souverains, le Congrès ne peut ordonner aux Etats fédérés l’application d’une réglementation du domaine fédéral.

Le juge SCALIA énonce d’ailleurs simplement dans l’arrêt Printz : « il est incontestable que la Constitution a établi un système de « double souveraineté » (…) Bien que les Etats conférèrent nombre de leurs pouvoirs au nouveau gouvernement fédéral, ils retinrent par-devers eux « une souveraineté résiduelle et inviolable ».

L’application de cette réglementation ne peut relever que des services fédéraux, ce qui n’empêche pas, par ailleurs, que les Etats fédérés acceptent volontairement de participer à l’exécution de cette loi. Cette décision prolonge et approfondit la décision New York v. US (1992).

La jurisprudence récente poursuit cette réaffirmation des pouvoirs des Etats fédérés, et donc, du particularisme juridique. L’arrêt Alden v. Maine (527 U.S. 706, 1999) consacre ainsi une définition très large du principe d’immunité en matière de poursuites juridictionnelles et fait suite à l’arrêt Seminole Tribe. La Cour suprême considère que c’est un élément fondamental de la souveraineté détenue par les Etats. L’arrêt Kimel v. Florida Board of regents (528 U.S. 62, 2000 in RFDC n°44, 2000, p. 925) ira même jusqu’à utiliser le concept de souveraineté de l’Etat pour accroître le champ des immunités des Etats fédérés.

L’arrêt Federal Maritime Commission v. South Carolina State Ports Authority (535 U.S. 743, 2002, RFDC n° 52, 2002 G. SCOFFONI et al. « droit constitutionnel étranger », p. 867-900) élargit encore cette jurisprudence en affirmant qu’un Etat ne peut être poursuivi devant une autorité administrative indépendante fédérale sans son accord. Lors de cet arrêt les juges parleront de la « dignité des Etats » qui constituent des « entités souveraines ».

La Cour Suprême a donc cherché à établir un point d’équilibre entre les pouvoirs des Etats fédérés et le pouvoir fédéral. La très grande plasticité du texte constitutionnel américain permettait des lectures très différentes de celui-ci qui aurait pu aboutir à une unification du droit applicable dans les différents Etats américains. Mais en affirmant que les Etats fédérés possèdent une souveraineté, la Cour Suprême a laissé la place à un pluralisme juridique marqué et à la possibilité que des conflits de lois puissent exister entre les différents Etats fédérés. En tirant les conséquences en matière de conflits de lois, la Cour Suprême affirmera ainsi dans l’arrêt City of Detroit v. Proctor : « la souveraineté de l’Etat du Michigan est aussi étrangère à l’Etat du Delaware que celle de la Russie » (City of Detroit v. Proctor, 44 Del 193 1948).

β-) La République Fédérale d’Allemagne

La Constitution allemande est un texte beaucoup plus long, précis et technique que la Constitution américaine. Les pouvoirs des Etats fédéraux et de l’Etat fédéral sont clairement définis ce qui donne un aspect moins plastique au texte et limite par voie de conséquence les possibilités d’interprétation de la Constitution. A l’image de ce qui s’est passé aux Etats-Unis, la Cour de Karlsruhe devra s’efforcer de sauvegarder les compétences et les pouvoirs des Länder face au Bund. En outre, elle ne s’est jamais affranchie du texte constitutionnel et n’a ainsi jamais fondé des compétences du Bund en dehors de ce qui était strictement prévu par la Grundgesetz.

Cependant, il n’a jamais été affirmé, à notre connaissance, que les Länder constituaient des entités souveraines comme l’a fait la Cour Suprême américaine ; le texte de la Grundgesetz ne le permet en toute hypothèse que très difficilement.

Au sein de la loi fondamentale allemande, deux dispositions ont expressément fondé l’intervention de la Cour Constitutionnelle. Il s’agit tout d’abord du nouvel article 93 de la Loi Fondamentale qui pose que la Cour de Karlsruhe est exclusivement compétente pour connaître des litiges pouvant naître entre le Bund et les Länder ou entre différents Länder. En cas de conflit, c’est donc un organe fédéral qui tranche : chaque Länder ne peut, à l’inverse de ce qui se passe aux Etats-Unis, élaborer avec ses propres Cours et Tribunaux sa propre solution au conflit, donc sa propre règle de conflit. Ensuite, la récente réforme de 1994 a, elle, introduit un moyen de contrôler le respect par le Bund des exigences de l’article 72 relatif à la nécessité de l’édiction d’une réglementation fédérale pour la sauvegarde de l’unité au sein de l’Allemagne.

Cela a permis de compléter les voies de recours existantes et de parfaire l’effectivité du contrôle de constitutionnalité. A la différence du système américain, lesfondements même du contrôle de constitutionnalité sont donc prévus par le texte constitutionnel lui-même, là où aux Etats-Unis, c’est surtout la Cour Suprême qui, au travers de sa jurisprudence, en a arrêté les contours.

La principale question qui se pose à la suite de l’organisation de ce contrôle des compétences par la Cour Constitutionnelle est de connaître la lecture qui a pu être effectuéede ce texte constitutionnel, beaucoup plus dense que la Constitution américaine.

Il est souvent affirmé que celle-ci a eu une lecture relativement centralisatrice de la Constitution allemande. Cette affirmation peut s’appuyer sur de nombreux arguments et particulièrement sur le fait que la Cour constitutionnelle fédérale ne s’était jamais opposée, jusqu’en 2002. C’est l’arrêt du 24/10/2002 qui marque cette nouvelle lecture de l’article 72 par la Cour constitutionnelle allemande (commentaire M. FROMONT, RDP 2004.1147) à l’exercice de la compétence législative par le Bund dans le cadre de l’article 72 Grund Gesetz et surtout s’est toujours refusée à contrôler une des conditions fondamentales posée par la Constitution pour l’application de cet article, à savoir la sauvegarde de « l’unité juridique ou économique ».

Il faut toutefois relever que ce point a été récemment remis en cause par différents arrêts de la Cour constitutionnelle allemande et également par le nouvel article 93-2 de la GG issu de la réforme de 2006.

De même dans une autre décision elle pose une règle qui rappelle fortement la théorie des implied powers de la Cour Suprême : concernant les émissions de propagande électorale, il a été considéré que leur réglementation relevait du Bund alors même que la télévision relève des Länder au motif que « une matière attribuée expressément à la Fédération ne peut être raisonnablement réglementée sans que soit réglementée en même temps une autre matière qui ne lui est pas attribuée ».

Enfin, il faut bien sûr songer au rôle absolument fondamental rempli par la Cour Constitutionnelle dans le cadre des droits fondamentaux : leur respect s’imposant à tous (art. 1-3) leur lecture ne pouvait être que le fait d’un interprète unique, c’est-à-dire la Cour Constitutionnelle.

Néanmoins, ce point doit, à notre avis, être grandement nuancé. Tout d’abord, s’il est exact, concernant l’article 72, que la Cour Constitutionnelle n’a pas contrôlé la condition de nécessité de sauvegarder l’unité du territoire allemand, il convient cependant d’insister sur le fait que, de toute façon, la Constitution elle-même penche très nettement du côté du pouvoir fédéral ainsi que cela a déjà été explicité. Ensuite, la Cour a défendu, en certaines occasions, les compétences des Länder face aux empiètements du pouvoir fédéral afin de préserver leur spécificité juridique.

Ainsi un arrêt particulièrement important a été rendu le 22/3/1995 2 BverfGE 1/89 in sequentia, vol. II, n°4, juin-août 1995, p.12 dans lequel il est considéré que le gouvernement fédéral n’a pas eu un « comportement loyal » vis-à-vis des Etats car il ne s’est pas opposé à une directive européenne qui portait atteinte à une compétence relevant des Länder (en l’espèce il s’agissait de la directive dite télévision sans frontières).

Au final, la Cour Constitutionnelle s’est révélée particulièrement sensible au délicat équilibre que suppose toute fédération et a ainsi indiqué que le législateur fédéral doit : « trouver le juste milieu entre l’autonomie, la responsabilité et la sauvegarde de l’individualité des Länder d’une part et la coresponsabilité dans la solidarité pour les destins des habitants d’autre part » (décision du 24/6/1986, péréquation financière entre les Länder, BverfGE, t. 72, p. 332 in AIJC 1986 p. 242).

S’il est certain que les Cours Constitutionnelles ont joué un rôle déterminant au travers de la lecture de la Constitution qu’elles ont eues, favorisant ainsi soit l’Etat fédéral soit les Etats fédérés, elles semblent toutefois s’être attachées à préserver le fragile équilibre entre ces deux composantes que suppose toute fédération et avoir contribué à préserver le domaine de compétence, ou de souveraineté selon les lectures, des Etats fédérés. Mais la pratique institutionnelle peut également éclairer sur l’autonomie laissée aux Etats fédérés et sur leur éventuelle souveraineté.

2-) La pratique institutionnelle dans les Etats fédéraux et le droit de sécession.

Il est une question centrale dans la pratique institutionnelle qui pourrait indiquer que les Etats fédérés sont restés souverains malgré leur appartenance à une fédération : l’existence d’un droit de sécession. Si aux Etats-Unis, cette question fut résolue par les armes lors de la guerre de Sécession à l’issue de laquelle la Cour Suprême a pu proclamer que les Etats-Unis sont « une union indestructible d’Etats indestructibles » (Texas v. White, 1868, 74 US (1 wall), 700, 1868) et bien que les Constitutions qui font mention de ce droit sont rares et considèrent ce point surtout comme une question théorique, il est une Cour Constitutionnelle qui a eu à se prononcer sur cette question de manière tout à fait pratique : celle du Canada. Au Canada en effet, au travers de la question québécoise, la problématique du droit de sécession est une question tout à fait pratique.

A la suite de nombreux référendums et de tentatives de compromis pour aménager le cadre fédéral, le gouvernement d’Ottawa a fini par déposer une demande d’avis auprès de la Cour Suprême fédérale sur ce point. La Cour Suprême de la fédération canadienne a rendu son avis le 20/8/1998 (RFDC n°37 – 1999) et elle a décidé que la Constitution du Canada ne permet pas une sécession unilatérale mais nuance sa position en indiquant que « si une majorité claire de québécois exprimait clairement sa volonté de ne plus appartenir à la fédération alors le gouvernement devrait négocier avec le Québec les conditions de la mise en place de sa souveraineté ». A la suite de cet avis, le gouvernement fédéral a adopté une loi le 29/6/2000 précisant les notions dégagées par la Cour Suprême.

Cependant l’objectif de ce texte est de décourager les souverainistes québécois en posant nombre de difficultés pour l’accession à la souveraineté en cas de référendum victorieux (cf. J. WOEHRLING, RFDC n° 44 – 2000, p.909), ce qui ne semble pas particulièrement surprenant.

Ainsi la question d’une réelle souveraineté des entités fédérées peut se poser dans la mesure où le droit de sécession n’est pas toujours prévu et, lorsque c’est le cas, les conditions de sa mise en œuvre sont singulièrement compliquées par de nombreuses exigences.

Il faut également dire quelques mots de la nécessité de coopération entre les différents niveaux de la fédération. Il est en effet intéressant de constater que le gouvernement fédéral est obligé de compter avec les Etats fédérés même si cela semble passer à première vue par une diminution de l’autonomie des entités fédérées.

Il faut avant tout souligner, et c’est la raison pour laquelle cette question sera traitée très brièvement, que la coopération dans les Etats fédéraux n’est que très rarement prévue par le texte constitutionnel et se situe donc en marge du droit. M. CROISAT (1994, p. 43) mentionne seulement deux Etats fédéraux ayant inscrit des mécanismes de coopération dans leur Constitution : la RFA en créant des tâches communes par la réforme de 1969 et le Canada au travers d’une institution coutumière : les conférences fédérales – provinciales.

Du fait de ces mécanismes de coopération, l’existence d’un domaine de compétences spécifiques aux entités fédérées se trouve réduit, d’autant plus que le financement fédéral facilite le contrôle et permet de poser des conditions (« le contrôle suit le dollar » dit-on aux Etats-Unis). Cependant, ainsi que l’a indiqué M. CROISAT, c’est, plus qu’un déplacement des pouvoirs au profit de l’Etat fédéral, un processus plus ou moins formalisé de marchandage qui se met en place. Cela indique plutôt une interdépendance accrue entre les différents niveauxde gouvernement composant les Etats fédéraux.

Il paraît donc particulièrement ardu, sur cette base, de tirer une quelconque conclusion en terme de souveraineté des Etats fédérés, tout au plus peut-on noter l’importance des jeux d’influence réciproque.

Le caractère ambigu du cadre fédéral quant au point de savoir si les entités fédérées sont souveraines rend particulièrement délicate la qualification des conflits de normes pouvant voir le jour entre elles. Si on admet, comme le fait la Cour Suprême américaine, qu’elles ont des domaines dans lesquels elles sont souveraines, alors dans ces domaines de véritables conflits de lois sont effectivement susceptibles de voir le jour ; si l’Etat fédéral conserve, dans tous lesdomaines des moyens d’action, alors c’est ce dernier qui tranche au final et l’on ne peut se trouver qu’en présence de pluralisme juridique avec éventuellement des conflits de compétences.

La conciliation entre Etat fédéral et souveraineté des entités fédérées, condition de l’existence de conflits de lois, semble particulièrement ardue. Sur le plan théorique, l’aspect imprécis de la notion de fédération paraît postuler au premier abord une incompatibilité entre souveraineté des entités fédérées et existence d’un Etat fédéral.

Tous les conflits de lois qui y ont lieu ne seraient donc que l’expression d’un particularisme juridique particulièrement accusé, mais pas fondamentalement différent de celui qui existe dans les Etats unitaires : ce serait plus une différence de degré que de nature. L’évolution des Etats fédéraux a d’ailleurs pu donner l’impression d’accréditer cette vision du fédéralisme.

Cependant le rôle, tout à fait essentiel dans un Etat fédéral, des juridictions suprêmes ou constitutionnelles a pu remettre en cause ce qui semblait être un mouvement inéluctable de centralisation. Cela a pu aboutir à ce que, dans certains Etats fédéraux, chaque entité puisse édicter ses propres règles de conflits et à ce que les compétences des Etats fédérés soient sauvegardées par les juridictions constitutionnelles et considérées comme faisant partie de leur souveraineté d’Etats fédérés, voire appartenant à leur « dignité d’Etats fédérés » (ce sont les termes de l’arrêt Federal maritime commission v. South Carolina State Ports Authority, 2002 RFDC, n°51-2003).

Il faut maintenant voir si les aspects théoriques développés dans ce chapitre se traduisent effectivement en droit positif. On s’intéressera notamment pour cela à la manière dont sont conçus et traités les conflits de lois “internes” aux Etats-Unis et la manière dont on peut les envisager au regard de la souveraineté des Etats.

Le prochain post ce sera “ Les conflits de lois dans le système fédéral américain”.

A bientôt,

Nicolas Caré

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