Les Pyrénées sont idéales pour débuter l’alpinisme, dit Alain Beaujouen, professeur en école primaire et alpiniste passionné

Alain Beaujouen est professeur en école primaire en Andorre et alpiniste passionné. Il a fait son premier sommet, le Mont Valier (Pyrénées ariégeoises, 2.838 m), quand il avait 20 ans. Mais sa passion pour l’alpinisme est arrivé 30 ans plus tard, en 2010, quand Alain a gravi le Mont Blanc avec son ami, Benoît. Alain dit: “Si je n’avais pas réussi le Mont Blanc, je me serais arrêté là!”. Pour l’instant, il a fait “une bonne dizaine” de sommets en Europe, en Asie et en Afrique. Il nous a parlé de l’alpinisme en général, des effets négatifs du changement climatique qu’il a vu de ses propres yeux en montagne et nous a partagé sa dernière expérience d’ascension au Manaslu (8163m au Népal).

Interview: Irina Rybalchenko pour El Periòdic News

À votre avis, l’alpinisme peut-il être considéré comme une partie du tourisme de montagne ?

L’alpinisme est plus difficile. Le tourisme de montagne correspond plus au trekking. On parle des sommets autour de 5000-6000 m qui sont considérés comme faciles. Pour moi, c’est moins de technique et plus du tourisme. L’alpinisme c’est quelque chose au-dessus: il faut être bien équipé, il faut s’entraîner, se préparer… L’alpinisme n’est donc pas du tout le tourisme.

Selon les scientifiques, chaque année il y a de moins en moins de glaciers sur les sommets et leur état actuel provoque de plus en plus d’avalanches. Vous avez vu de nombreux sommets de vos propres yeux. Êtes-vous d’accord avec ce constat?

Si on parle des Alpes, le réchauffement climatique en montagne est une véritable catastrophe. Les glaciers reculent et des rochers ressortent, ce qui provoque des avalanches, mais aussi des chutes de pierres. Il y a des ascencions dans les Alpes qui ne peuvent plus du tout se faire, pourtant elles étaient possibles il y a 30-40 ans. Dans les mêmes Alpes, il y a des sommets inaccessibles même en août, car il fait trop chaud.

Quant au Népal, l’année dernière, il a été énormément plu et, par conséquent, de la neige sur les sommets, ce qui a constamment provoqué des avalanches. Le réchauffement climatique provoque un dérèglement climatique, certainement.

On peut dire qu’aujourd’hui, l’alpinisme devient de plus en plus populaire dans le monde?

Maintenant la communication est importante avec Internet, et je peux dire qu´on en parle plus souvent, parfois de manière négative à cause des accidents et des avalanches. Mais on est aussi au courant des réussites des différentes expéditions.

Des alpinistes de quels pays avez-vous rencontré le plus souvent lors de vos ascensions ?

Ça dépend de l’endroit où je pars. J’ai vu des gens d’Europe (Suisse, Espagne, Allemagne, Autriche, Italie, France), de la Russie, des Etats-Unis, d’Iran…

Et des Andorrans ?

Je ne les ai rencontrés qu’en Andorre. Mais c’est curieux parce qu’assez souvent j’ai parlé catalan en montagne avec d’autres personnes qui venaient de Catalogne.

Comment se passe la préparation pour une ascension ? Combien de temps faut-il pour s’entraîner pour se préparer ?

J’essaie toujours de garder la forme. J’essaie de faire du sport tous les jours, pas forcément beaucoup, sinon régulièrement. Faire du vélo, de la randonnée à pied ou du ski de randonnée en hiver – je trouve que c’est la préparation parfaite.

J’essaie de garder mes activités de gym en salle (tapis de marche, spinning) pour avoir le même point de référence et pour savoir comment je progresse. Le plus important est que je ne me blesse pas. Je fais une préparation plutôt cool, en douceur et toujours pour le plaisir.

Et enfin, un autre point très important – c´est mon poids. Avant de partir, je surveille ce que je mange. Ce n’est pas vraiment un régime mais j’arrête l’alcool, le pain, le fromage, la charcuterie. Par contre, je garde les protéines (la viande, les poissons, les oeufs etc)…Pour la perte de poids, c’est le plus efficace ! Par contre, je sais qu’à chaque expédition je vais perdre de 6 à 10 kg.

A quoi ressemble la préparation mentale ?

Je ne fais rien de spécial. Je sais d’avance que ce sera très difficile… Je me mentalise sur les efforts à fournir. Pour être motivé on peut se comparer aux autres alpinistes que l’on rencontre. Parfois ça nous rassure… Parfois non!

Avez-vous entièrement confiance en vous ?

Oui. Je me gère. Je ne veux pas gérer d’autres personnes. C’est pourquoi j’y vais seul mais je suis toujours accompagné d’un guide. Un professionel du pays à ses côtés est une aide importante pour moi.

Vous avez dit qu’avant chaque ascension, vous montez au Canigo. Est-ce une tradition ou un signe de bonne chance ?

C’est une habitude que je me suis donnée. J´ai l´impression que ça me porte chance!

Parlez-nous de votre dernière ascension au Népal. Comment s’est passé le processus d’acclimatation?

C’était au Manaslu (8163 m). Pour l´acclimatation je fais toujours les mêmes choses. Je passe 10 jours avant en altitude. Avant le Manaslu, je suis allé au au camp du base de l’Annapurna (4130 m), où chaque jour je faisais 4-5 heures de randonnée et je m’habituais à dormer en altitude (avec ça je n’ai eu aucun problème).

Au Manaslu, il y a 4 camps d’altitude. Une fois habitué, on monte progressivement au camp 1 (5400 m), on y passe la nuit, on monte au camp 2, on redescend au camp de base et on se repose.

Après on monte jusqu’au camp 3 et on redescend au camp de base une autre fois. Là on se repose 2 ou 3 jours.

Il faut le faire pour éviter le mal aigu des montagnes (ça peut être mortel). Le corps n’est pas habitué à l’altitude, cela peut provoquer des maux de tête, une perte d’appétit, un mauvais sommeil…

Mais petit à petit, le processus d’acclimatation se met en place. Quand on est bien acclimaté, quand on est en forme, il faut surveiller la météo. Si le temps est favorable, alors on tente le sommet. Quand on est au camp 4 (7400 m), on part dans la nuit à la lumière de la lampe frontale. Il faut y arriver autour de midi. Si vers 14 heures on n’arrive pas au sommet, on redescend.

Et quelle a été la sensation de cette dernière étape tant attendue dans le noir complet ?

C’était extrêmement dur. L’ascension était très longue, près de 10 heures. Je montais très lentement ces derniers 760 m… Même avec le masque à oxygène… J’étais très fatigué. C’est l’effort le plus intense que j’ai jamais fait. Normal, c’était le sommet le plus extrême que j’aie jamais atteint… Et tout ça pour 15 minutes de triomphe!

Il faisait froid?

 Pas trop… Autour de – 20ºC… Mais surtout il n’y avait pas de vent et donc les sensations sont très différentes.

Etait-ce effrayant?

La peur est une mauvaise conseillère. En cas de doute, arrête-toi. Mais la décision de faire demi-tour est très difficile. Cela m’est arrivé une fois en Bolivie. Je m’en souviens toujours! Par contre, en cas d’échec on apprend aussi. On devient plus modeste, plus humble, même si c’est difficile pour son ego…

On dit que l’essentiel n’est pas de monter dans  les montagnes, sinon de rentrer chez soi. Êtes-vous d’accord que la descente est plus difficile que la montée ?

Rentrer vivant, rentrer content… Oui, en redescendant du camp 4 vers le camp 3, autour de 7100 m, avec le guide nous avons été pris dans une avalanche. J’ai essayé de rester à la surface de la neige en “nageant”. J’étais assuré sur la corde et elle m´a maintenu à la surface et en vie!

L´avalanche a continué à descendre. Heureusement, le guide et moi sommes restés sur la corde, vivants et pas blessés. Après nous avons appelé les secours en hélicoptère. Mais il fallait descendre plus bas, au camp 3, parce que l´hélicoptère ne pouvait pas monter jusqu’à nous.

Quels ont été les moments les plus mémorables de l’expédition ?

Il y a des moments spéciaux en montagne quand le moral baisse. J’ai passé trois semaines dans la dernière expédition. Évidemment, j’avais besoin de moments de réconfort. J´ai toujours à lire, de la musique… Je porte toujours des bonbons, de la crème de marrons, des gâteaux, du Manchego. Ce sont mes petits moments de plaisir.

Les autres aspects mentaux sont aussi tout ce qui a rapport à la famille, ma femme, mes enfants, mes petits-enfants… En montagne, je me sens plus sensible.

En plus des émotions, l’un des moments les plus mémorables a bien sûr était l’arrivée de l’hélicoptère après l’avalanche. On se jette dedans, ça se passe très vite, et on repart…

L’arrivée au sommet reste aussi un grand moment… Le passage à 8000 m est un moment symbolique également. C’est un chiffre mais ça marque!

Que ressentez-vous quand il y a 8000 mètres sous vos pieds ?

On ne sent pas l’altitude car tous les sommets autour sont très hauts. Mais c’est beau de toute façon!

 Quels conseils donneriez-vous aux débutants ?

Je pars toujours avec une agence locale. Comme ça, mon guide parle la langue locale et en cas de soucis, il a les liaisons pour appeler et demander une aide rapidement.

Revenir vivant – c’est le plus important! Soyez toujours modestes, consultez des amis plus expérimentés, faites-le progressivement et toujours pour votre propre plaisir. J’ai fait surtout de la montagne au début dans les Pyrénées. Elles sont idéales pour débuter l’alpinisme.

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